INTERVIEWLa surtaxe des CDD sera-t-elle efficace pour l'emploi?

Loi travail: «Je doute que la surtaxe des CDD suffise pour que les entreprises embauchent davantage en CDI»

INTERVIEWMathieu Plane, économiste à l’OFCE analyse les impacts de cette mesure si elle était adoptée...
Delphine Bancaud

Propos recueillis par Delphine Bancaud

Donner des contreparties aux opposants du projet de loi sur laréforme du Code du travail. Myriam El Khomri, la ministre du Travail, a confirmé ce jeudi sur France Info qu’une surtaxe des CDD faisait « partie des discussions » entre gouvernement et partenaires sociaux. 20 Minutes a demandé à Mathieu Plane, économiste à l’ Observatoire français des conjonctures économiques, quelles pourraient être les incidences d’une telle mesure.

Pourquoi cette piste de la surtaxation des CDD émerge-t-elle comme une réponse à la contestation sur la loi Travail ?

Sur ce texte, le gouvernement a changé de discours. Avant, il affirmait que cette réforme allait permettre de créer de l’embauche. Désormais il insiste sur le fait qu’elle va permettre d’amoindrir la dualité existante entre CDD et CDI. D’où l’idée de surtaxer les CDD, qui apparaît comme une porte de sortie intéressante à ce conflit. De plus, cette mesure est réclamée de façon récurrente par les syndicats. Par ailleurs, le recours aux CDD et à l’intérim représente un coût élevé pour l’Unédic (entre 4,8 et 8,5 milliards par an). Surtaxer les CDD apparaît donc comme une piste pour faire des économies. Et ce n’est pas un hasard si elle ressurgit au moment où les négociations entre syndicats et patronat sur les futures règles de l’assurance chômage viennent de commencer.

Mais une surcotisation des CDD de moins de trois mois a déjà été adoptée en 2013. A-t-elle permis de les faire diminuer et de favoriser les embauches en CDI ?

Elle n’a pas permis d’enrayer l’inflation des recrutements en CDD courts, qui représentaient encore 87 % des embauches, hors intérim, fin 2015. Et alors que 68 % des intentions d’embauche en 2013 concernaient des CDD de moins d’un mois, ce chiffre est monté à 70 % en 2016. Parallèlement, la durée moyenne d’un contrat d’intérim est de 1,7 semaine. Une raison à cela : les chefs d’entreprise ont un problème de visibilité sur leur activité liée à une croissance heurtée. D’où leur réticence à embaucher en CDI. Tant qu’on n’aura pas une vraie reprise en France, elles auront peur d’embaucher en CDI.

Peut-on en conclure que si la surtaxation des CDD est adoptée par les partenaires sociaux, elle n’engendrera pas davantage de signatures de CDI ?

C’est probable. Je doute qu’elle suffise pour que les entreprises embauchent davantage en CDI. Car on a du mal à imaginer comment les patrons vont basculer de CDD très courts de moins d’un mois à des CDI, surtout si la conjoncture ne s’améliore pas. Si la mesure est adoptée, les entreprises risquent d’avoir davantage recours à l’intérim, ce qui ne réglera pas la question de la précarité. Pour que cette mesure fonctionne, il faudrait que le montant de la surtaxe sur les CDD soit vraiment dissuasif et qu’elle cible les contrats de moins d’un mois. Il faudrait aussi encore baisserle coût du travail en CDI. En Italie par exemple, les entreprises ont bénéficié de baisses de cotisations patronales pendant trois ans sur tous les nouveaux CDI. Mais un tel dispositif ne semble pas réalisable en France, car nous ne disposons plus de marges budgétaires.

Cette mesure a-t-elle une chance de passer, malgré l’opposition des patrons ?

Oui, même si elle sera l’objet d’âpres négociations. Car beaucoup de patrons ne jouent pas le jeu et utilisent le CDD comme une modalité d’ajustement permanent au lieu de respecter la loi et en l’utilisant en cas de pic d’activité. Ils doivent comprendre qu’on ne peut pas d’un côté libéraliser le marché du travail et de l’autre, accepter ces abus. Le recours au CDD doit devenir exceptionnel.