INTERVIEW«Les Chinois sont plus réactifs, mais les Français parviennent mieux à anticiper»

«Les Chinois sont plus réactifs, mais les Français parviennent mieux à anticiper»

INTERVIEWUn dirigeant nous explique pourquoi son groupe chinois investit en France...
Céline Boff

Propos recueillis par Céline Boff

Pas attractive, la France? L’an dernier, elle a attiré plus d’investissements étrangers que jamais, révèle le Baromètre 2015 d’E&Y, publié ce mercredi. Qu’est-ce qui séduit les groupes étrangers? 20 Minutes a posé la question à Gérard Deman, président du conseil d’administration d’Adisseo, société française rachetée par le groupe chinois Bluestar en 2006.

Comment êtes-vous passé sous pavillon chinois?

En 2004, Bluestar est venu me voir pour me demander de construire avec lui une usine en Chine, sous la forme d’un partenariat. Adisseo produit des additifs indispensables à l’élevage industriel, notamment des poulets, et cette technologie l’intéressait fortement. A cette époque, nous étions détenus par un fonds financier européen et j’ai évoqué la possibilité qu’ils nous rachètent. L’accueil a été favorable et les discussions ont commencé.

Bluestar était-il inquiet par rapport au droit social français, à la fiscalité, etc.?

Ses responsables nous ont bien sûr demandé des explications et ils ont analysé notre compétitivité mais surtout, ils nous ont demandé comment nous gérions la société et ses équipes. Ils n’ont pas seulement analysé notre bilan. Pour eux, la personnalité des managers compte et la confiance est primordiale. Dès le départ, ils ont créé toutes les conditions pour que l’on devienne des amis. Avec les Chinois, les échanges sont moins formels qu’ils ne peuvent l’être avec des Anglo-Saxons, par exemple. La convivialité est d’ailleurs essentielle. Les réunions en Chine se terminent toujours par des dîners pendant lesquels tout le monde se lève pour trinquer et discuter… Nous avons en commun l’amour de la bonne chère et de la convivialité.

Le coût du travail en France n’a-t-il pas été un problème?

Bien sûr, les coûts salariaux ne sont pas les mêmes en Chine qu’en France. Mais nous ne sommes pas une industrie très gourmande en main d’œuvre et quand Bluestar recrute des Chinois avec une expérience managériale occidentale, l’écart de rémunération est in fine très réduit.

Comment ont réagi les salariés français?

Ils étaient rassurés à l’idée d’être acquis par un groupe industriel alors que nous étions détenus par un partenaire financier dont la vision peut être plus court-termiste. Bien sûr, certains craignaient qu’une fois la technologie acquise, la production puisse être délocalisée en Chine. Il n’en a rien été: depuis 2006, Bluestar n’a cessé de renforcer le développement industriel et l’innovation en Chine certes, mais aussi en France. Et de nombreuses expériences montrent que quand les Chinois s’investissent, c’est plutôt pour le long terme.

Le choc culturel n’a-t-il pas été trop difficile à gérer?

Il y a bien sûr des différences culturelles très fortes. Et des atouts des deux côtés: les Chinois sont par exemple plus réactifs, les Français parviennent mieux à anticiper. Pour la construction de l’usine en Chine, les équipes étaient mixtes… Ca n’a pas été facile, nous avons dû faire des compromis sur tous les sujets. Mais cela a aussi été le vrai facteur de succès. Concernant la France, Bluestar a choisi de conserver le même management. Les premiers temps, il a envoyé une poignée de managers chinois dans notre entreprise, mais davantage pour apprendre que pour nous contrôler. Ces personnes sont progressivement reparties et le management en France ne compte aujourd’hui plus aucun Chinois.

Quelle image les Chinois de Bluestar ont-ils de la France?

Une image plutôt bonne. Ils ont surtout beaucoup de respect pour son histoire -la révolution française, le siècle des Lumières, etc.- et pour des personnalités telles que le général de Gaulle ou Jacques Chirac. En termes de business, ils ont une vision plus européenne que française des affaires. Mais ils n’estiment pas que ce soit un handicap d’être français. Ils ont d’ailleurs multiplié les acquisitions en France depuis 2006.