ANALYSEFusion Nokia-Alcatel Lucent: Les arguments du gouvernement tiennent-ils la route?

Fusion Nokia-Alcatel Lucent: Les arguments du gouvernement tiennent-ils la route?

ANALYSE«20 Minutes» a interrogé des experts pour savoir si le futur groupe brillera bien sur la scène mondiale et préservera l'emploi français...
Céline Boff

Céline Boff

«Tout ira bien». C’est en substance ce qu’affirme le gouvernement français suite à l’annonce de la fusion entre le Finlandais Nokia et le Franco-Américain Alcatel-Lucent. Plus précisément, le premier va prendre le contrôle du second pour donner naissance à Nokia Corporation, dont le siège sera à Helsinki. Depuis, les membres du gouvernement multiplient les déclarations. Mais leurs affirmations sont-elles vraies?

Affirmation n°1: Cette fusion préservera l’emploi français

Le gouvernement l’assure et d’après Michel Combes, le patron d’Alcatel, il y aura même des créations de postes, puisque Nokia Corporation augmentera ses activités de «recherche et développement (R&D) en France de 25%». Jean-Michel Huet, associé de Bearing Point, est confiant: «La R&D n’est pas une activité facilement exportable et les compétences techniques des salariés français les protègent».

«Si la R&D est consolidée en France, l’emploi sera préservé. Mais Nokia Corporation tiendra-t-il ses engagements? Il est difficile de l’affirmer a priori», nuance Eric Delbecque, président d’honneur de l’Association pour la compétitivité et la sécurité économique (ACSE).

Sylvain Géron, directeur associé de Polyconseil, est plus tranché: «Deux entreprises dont les activités sont assez proches et qui cherchent à réaliser près d’un milliard d’euros d’économies d’ici à 2019… Il y aura vraisemblablement identification de redondances dans les organisations».

Affirmation n°2: Cette fusion ne bradera pas l’indépendance de la France

Pour Jean-Luc Mélenchon comme pour Marine Le Pen, l’absorption d’Alcatel est un nouveau pillage de la France. «La France ne perd pas Alcatel, nous sommes à une époque où il faut affronter des marchés mondiaux et pour cela, il faut trouver des alliances», répond Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement.

«Cette fusion n’a rien à voir avec le rachat d’Alstom par General Electric. Alcatel n’était déjà plus française, elle avait fusionné en 2006 avec l’Américain Lucent Technologies. Le fait qu’Alcatel redevienne européen en se rapprochant de Nokia est donc une bonne nouvelle», estime Jean-Michel Huet.

Un point de vue partagé par Eric Delbecque: «Créer un champion européen, l’idée est séduisante, la question est de savoir la France conservera des marges de manœuvre dans ce groupe multinational, alors qu’elle faisait déjà des concessions avec les Américains».

Pour Sylvain Géron, «Alcatel n’est plus un leader des télécoms depuis bien longtemps, la France n’a donc aucune indépendance industrielle à préserver dans ce domaine. Elle a perdu la bataille des constructeurs il y a vingt ans déjà. Ce qu’elle doit protéger en revanche, ce sont les opérateurs, les logiciels et les services associés aux télécoms».

Affirmation n°3: Le gouvernement jouera un rôle de stratège

Sur ce point, les experts sont sceptiques. «Il peut en avoir la volonté, mais les moyens, j’en doute», réagit Eric Delbecque. «Le gouvernement n’a absolument aucune capacité à influencer le marché des constructeurs», renchérit Sylvain Géron. «L’Etat n’a pas de "golden share" chez Alcatel, il n’a donc pas de droit de veto. Dans ces conditions, je ne vois pas comment il peut intervenir dans une entreprise privée», ajoute Jean-Michel Huet.