Tourisme: «Il y a effectivement une perte d’attractivité de la France»
INTERVIEW•Par rapport à ses concurrents, la France voit son offre touristique s’appauvrir, comme l'explique Didier Arino, directeur du réseau Protourisme…Propos recueillis par Bérénice Dubuc
Un surplace inquiétant. Selon des chiffres provisoires de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT) obtenus par le groupement Alliance 46.2, la France, première destination touristique au monde, a connu en 2014 une absence de croissance en nombre de visiteurs internationaux, en accueillant 84,7 millions de touristes internationaux, autant qu'en 2013. Didier Arino, directeur du réseau Protourisme, explique à 20 Minutes les raisons de ce ralentissement.
Ce surplace signifie-t-il que le tourisme en France patine?
Il faut faire attention, le nombre d’arrivées touristiques n’est pas le nombre de touristes. Le seul critère qui vaille selon moi, c'est le nombre de nuitées, or ces données n’ont pas encore été révélées par l’OMT. Selon les chiffres dont nous disposons chez Protourisme, on ne constate pas de baisse du nombre de nuitées des étrangers, et on peut même dire qu’il est heureux qu’ils aient été là en 2014, puisque le nombre de nuitées de touristes français est lui en baisse.
Mais, en prenant un raisonnement global, il est vrai que la France progresse deux fois moins vite que ses concurrents. Attention, pas des pays comme la Chine ou la Thaïlande -il est aisé de faire des progressions à trois chiffres quand on part de plus bas-, mais des pays comparables, structurés, comme l’Italie ou l’Espagne par exemple. Il y a effectivement une perte d’attractivité de notre pays: l’offre touristique s’appauvrit, alors que les autres pays investissent et progressent.
Quelles sont les raisons de cet appauvrissement?
Le tourisme est de plus en plus concentré sur quelques zones -comme Paris, qui attire toujours les touristes du monde qui ont les moyens de partir en vacances, renouvelant ainsi sa clientèle- et on observe ailleurs une désertification touristique. En cause: un équilibre économique de plus en plus précaire de nos entreprises touristiques qui sont dans l’incapacité de faire les investissements pour renouveler leurs infrastructures. Et ce en raison de la hausse de la TVA, mais aussi du fait d’une dépendance accrue aux agences en ligne qui vont pour certain jusqu’à 60% des réservations. Or celles-ci réclament souvent des commissions allant de 15 à 18%.
On observe aussi un vieillissement des opérateurs, et des difficultés de transmission. Car il y a par ailleurs un déficit d’intérêt pour ces métiers -et un déficit de formation- dans notre pays, où l’on confond service et servilité, et où il faut avoir fait bac+5 pour faire un métier jugé valorisant. En France, on est à côté de la plaque en dévalorisant ces métiers, qui finissent par être choisis plus par dépit que par envie.
Pourtant, François Hollande a fait du tourisme «cause nationale» à l’été 2013…
Certes, mais cela n’a pas été suivi d’effets concrets. On est en pleine contradiction: on fait du tourisme une grande cause nationale, mais on baisse les budgets. Et, même si désormais trois ministres se partagent le sujet pour montrer que le gouvernement est mobilisé, cela fait longtemps qu’aucune politique touristique n'a été mise en place en France. C’est dommage, car, quand une bonne politique touristique -avec des aménagements qui créent les conditions favorables au développement des entreprises de tourisme- est mise en place, on voit que ça fonctionne tout de suite.