La Grèce a-t-elle raison de réclamer 162 milliards à l'Allemagne au titre de la Seconde Guerre mondiale?
INTERVIEW•Pour l'historien Serge Cosseron, cette demande «est une preuve de grande faiblesse»...Propos recueillis par Céline Boff
L’Allemagne doit-elle 162 milliards d'euros à la Grèce, comme le clame le Premier ministre Alexis Tsipras? Dimanche, le leader de Syriza s’est dit «obligé» de réclamer «des indemnités de guerre» mais aussi «le remboursement du prêt forcé» accordé par la Grèce à l’Allemagne nazie. En 1941, en effet, Berlin a imposé à la Banque centrale grecque un prêt de trois milliards de dollars au titre des «contributions à l'effort de guerre». 20 Minutes fait le point avec l’historien Serge Cosseron, spécialiste de l'Allemagne.
La Grèce demande 162 milliards d’euros à l’Allemagne pour solder les comptes de la Seconde Guerre mondiale. D’où sort ce chiffre?
Il varie du simple au double, selon les sources… En tout cas, au lendemain de la guerre, la Grèce obtient la promesse de toucher quelques 7 milliards de dollars d’indemnités de la part des Allemands, qui l’ont occupée de 1941 à 1945. Mais en 1953, à la demande des Américains et des Britanniques, la Grèce renonce à ce droit, comme les autres puissances de l’Otan. Nous sommes en pleine Guerre froide et les Occidentaux ne veulent pas renouveler les erreurs commises après la Première Guerre mondiale. Ils veulent permettre à l’Allemagne, plus précisément à la RFA, de se relever. Et effectivement, l’effacement d’une vaste partie de sa dette de guerre lui permettra de se reconstruire.
Hors prêts, la Grèce a reçu 68 milliards d’euros depuis son adhésion à l’Europe, notamment des contribuables allemands, et sa dette privée a été largement effacée, notamment par les banques allemandes… Dans ce contexte, la demande grecque est-elle légitime?
Je ne vois pas comment la communauté internationale pourrait accepter de renégocier quelque chose qui a été acté, à l’époque, par le gouvernement grec officiel. Si la demande d’Alexis Tsipras est donc peu crédible d’un point de vue juridique, elle est surtout rhétorique. Pour lui, c’est une manière de rappeler aux Allemands, qui font parfois preuve d’arrogance vis-à-vis des peuples du Sud, qu’eux-mêmes n’ont pas toujours payé leurs dettes. Le gouvernement grec joue la carte du devoir de mémoire, dont nous entendons beaucoup parler ces quinze dernières années, et il n’est pas inintéressant de rappeler certains faits historiques. Et puis, Tsipras a tout intérêt, pour des questions de politique intérieure, à mobiliser son opinion publique autour d’un bouc-émissaire.
Cet argument peut-il infléchir la position allemande sur la dette grecque?
Je ne suis pas voyant, mais une chose est sûre: si Alexis Tsipras utilise cet argument, c’est qu’il a peu de chose à faire valoir… Recourir au passé est une preuve de grande faiblesse. Il se bat sur le terrain de la morale, mais ces propos ne vont pas réveiller la mauvaise conscience allemande. Ce n’est plus la génération de la guerre, ni même celle de l’après-guerre qui est au pouvoir à Berlin. Faire référence au passé nazi des Allemands a moins d’impact aujourd’hui et Berlin se montrera inflexible sur ce genre de manœuvres.