INTERVIEW«Il est temps de réformer la Cour des comptes»

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INTERVIEWLe journaliste Bruno Botella a mené l'enquête sur l'institution de la rue Cambon...
Céline Boff

Propos recueillis par Céline Boff

La Cour des comptes, tout le monde la connaît. Elle jouit même d’une excellente réputation auprès des Français. Et pourtant, le Palais Cambon est l’une des institutions les plus secrètes de la République… Comment travaillent ses magistrats? D’où viennent-ils? Sont-ils vraiment indépendants? Eléments de réponse avec Bruno Botella, rédacteur en chef du mensuel Acteurs publics, auteur de Et si on enquêtait sur la Cour des comptes? (Editions du Moment) à paraître ce jeudi.

Quelle découverte vous a le plus surpris?

D’abord, ce travail n’a pas été facile. Les magistrats de la rue Cambon ont l’habitude que la presse s’intéresse à leurs rapports, mais pas à eux… Ils se sont montrés tétanisés lorsque je les ai approchés. Ce qui m’a le plus surpris justement, c’est leur fragilité. S’ils sont fiers de travailler pour la Cour, ils doivent produire toujours plus de rapports. Les délais sont de plus en plus courts, et le risque d’engorgement, voire même d’accident industriel, est réel. La Cour des comptes a longtemps ronronné, mais elle travaille beaucoup maintenant et elle doit le faire à effectif et à budget constants.

Jacques Chirac et François Hollande sont tous deux issus de la Cour des comptes… C’est une fabrique à président?

Ils ont choisi de rejoindre le Palais Cambon après l’ENA parce que cette institution était alors très pépère et qu’elle laissait le temps aux jeunes ambitieux de faire de la politique. Mais c’est de moins en moins vrai. La Cour des comptes travaille maintenant et les jeunes qui y débarquent en touristes se font vite repérer. Elle laisse toutefois à ses membres la possibilité de faire des allers-retours entre la rue Cambon et des mandats électoraux ou des cabinets ministériels. Certains magistrats exercent même simultanément des mandats locaux.

Du coup, cette institution est-elle indépendante comme elle le prétend?

Elle a une place à part, à équidistance des pouvoirs législatif et exécutif. Et ses magistrats sont inamovibles, ce qui leur garantit une certaine liberté. Mais son premier président est choisi par le président de la République, les présidents de chambre et les conseillers maîtres sont nommés en Conseil des ministres. Par ailleurs, un magistrat peut partir diriger une grande administration puis rejoindre le Palais Cambon pour contrôler cette même administration… La Cour des comptes est un concentré de ce qu’est l’élite française –parisianiste, issue de Sciences-Po ou de l’ENA, fonctionnant sur l’entre-soi… Son indépendance est donc relative et parfois, ses magistrats sont à la limite du conflit d’intérêt.

Que deviennent ses rapports?

La Cour existe pour informer les citoyens de l’utilisation des deniers publics et pour guider les administrations dans une meilleure gestion. La puissance publique n’est toutefois pas tenue de suivre ses recommandations. Si la Cour s’enorgueillit du fait que 70% de ses préconisations sont suivies, on peut s’interroger sur l’utilité de ses alertes répétées en matière de finances publiques, puisque notre dette dépasse désormais les 2.000 milliards d’euros et que notre déficit ne descend jamais sous les 3%...

Comment cette institution devrait-elle évoluer?

Elle n’est pas à la hauteur des enjeux actuels. Elle perd beaucoup de temps à contrôler des musées ou des théâtres, où quelques millions d’euros seulement sont en jeu, alors qu’elle devrait auditer les politiques publiques lancées par le gouvernement en matière de logement, d’éducation ou encore, d’agriculture, où plusieurs milliards sont en jeu. Compte tenu de notre situation budgétaire, la Cour doit jouer un rôle plus important et il est vraiment temps de la réformer.

Combien gagnent les magistrats de la Cour des comptes?

«C’est une information que j’ai eu du mal à obtenir!», répond Bruno Botella. Mais le journaliste fournit dans son ouvrage les réponses: un auditeur, c’est-à-dire un jeune énarque qui intègre la Cour, commence à 4.000 euros nets, primes comprises. Un conseiller référendaire, qui dispose de trois ans d’expérience, touche entre 5.000 et 6.000 euros. Un conseiller maître, poste que l’on décroche à partir de 40 ans, gagne de 7.000 à 11.000 euros. Le premier président perçoit environ 16.000 euros. «Ce ne sont pas les rémunérations les plus élevées de la fonction publique et elles sont plutôt cohérentes avec le travail fourni», estime l'auteur de l'ouvrage.