Juncker fragilisé par le scandale «Luxleaks» d'évasion fiscale
Les révélations sur le système d'évasion fiscale massif mis en place au Luxembourg au profit des multinationales fragilisent Jean-Claude Juncker au moment où il prend la tête d'une Commission européenne dont il veut affirmer le rôle.© 2014 AFP
Les révélations sur le système d'évasion fiscale massif mis en place au Luxembourg au profit des multinationales fragilisent Jean-Claude Juncker au moment où il prend la tête d'une Commission européenne dont il veut affirmer le rôle.
Jeudi, il a annulé au dernier moment sa participation à une conférence à Bruxelles.
M. Juncker a été pendant 18 ans, entre 1995 et 2013, Premier ministre du Luxembourg, considéré comme un des principaux paradis fiscaux dans le monde. Pendant cette période, entre 2002 et 2010, selon une enquête publiée par 40 médias internationaux, le Grand-Duché a passé des accords fiscaux avec 340 multinationales, dont Apple, Amazon, Ikea, Pepsi, Heinz, Verizon ou AIG, afin de minimiser leurs impôts.
Cette polémique, quelques jours seulement après l'entrée en fonction de M. Juncker, complique sa tâche alors même qu'il a promis de renforcer la Commission en la rendant «plus politique», mais aussi de relancer une économie européenne en panne avec un grand plan d'investissement de 300 milliards d'euros.
D'emblée, il a cherché à affirmer son rôle face aux Etats, en assurant qu'il n'accepterait «pas les critiques injustifiées». Il s'en est pris au Britannique David Cameron et à l'Italien Matteo Renzi. «Je ne suis pas un type qui tremble devant les Premiers ministres», a-t-il dit.
Jeudi, M. Juncker a été accusé par le groupe des Verts au Parlement européen de «conflit d'intérêt». Les services de la Commission enquêtent pour savoir si le Luxembourg a accordé, à travers la pratique du «ruling», des «subventions déguisées» au géant américain de vente sur internet Amazon et au groupe italien Fiat.
L'exécutif européen est prêt à sanctionner le Luxembourg, s'il y a lieu, a affirmé son porte-parole, Margaritis Schinas, lors d'un point de presse s'efforçant de protéger M. Juncker. «On est en terrain connu, celui de la législation sur les aides d'Etat», a-t-il martelé, assurant que c'était la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, et elle seule, qui était chargée du dossier.
M. Juncker est «serein», a-t-il assuré, affirmant la détermination du nouveau chef de l'exécutif européen à renforcer l'harmonisation fiscale européenne.
- «Ne pas se laisser distraire» -
Interrogée lors d'un colloque à Bruxelles, Mme Vestager a estimé qu'il n'y aurait «aucun» impact politique de cette affaire pour M. Juncker. Refusant de se laisser «distraire par des questions de personnes», elle a plaidé pour l'établissement de «bases communes» en Europe pour l'imposition des sociétés.
La France et l'Allemagne ont volé à son secours. Cette affaire «est le reflet du passé (...) je souhaite qu'on regarde l'avenir, on est en train de travailler à grande vitesse» sur la lutte contre l'optimisation fiscale, qui «n'est plus acceptable pour personne», a déclaré à Bruxelles le ministre français des Finances, Michel Sapin. Mais elle doit être «mondiale», a-t-il ajouté soulignant que le Luxembourg n'était pas le seul paradis fiscal.
«Juncker vient d'arriver. Si on veut l'affaiblir, c'est une bonne idée», a renchéri un responsable français à propos des révélations. «C'est une folie européenne de voir essentiellement les problèmes entre nous», a-t-il insisté, évoquant des pratiques identiques aux Etats-Unis.
Pour le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, ce n'est «pas du tout» dommageable à M. Juncker. «Ce n'est pas lié à un gouvernement en particulier», selon lui, «c'est dans le cadre légal, mais nous travaillons à changer la législation».
L'enquête, qui s'appuie sur 28.000 pages de documents obtenus par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), porte sur les accords fiscaux anticipés, ou «tax ruling».
Cette pratique, qui ne concerne pas que le Luxembourg, permet à une entreprise de demander à l'avance comment sa situation sera traitée par l'administration fiscale d'un pays. Cela influence la répartition du bénéfice imposable d'une multinationale entre ses filiales dans des pays différents.
Les autorités luxembourgeoises se sont retranchées derrière la légalité de leurs pratiques. Devant la presse, le Premier ministre, Xavier Bettel, a assuré que le ruling était «conforme aux lois internationales». Il est «compatible avec les standards communautaires et ceux de l'OCDE», a renchéri son ministre des Finances, Pierre Gramegna.
Toutefois, «ce qui est légal aujourd'hui n'est peut-être plus souhaitable ou considéré comme éthiquement» acceptable, a-t-il reconnu à Bruxelles. Le Luxembourg a évolué récemment en matière de pratiques fiscales en acceptant de renoncer au secret bancaire à partir de 2015.