La France est-elle vraiment dépressive?

La France est-elle vraiment dépressive?

MORALSi des enquêtes tendent à prouver que nous sommes plus pessimistes que les autres,  d'autres révèlent que nous nous sentons plus heureux que nombre d'Européens...
Céline Boff

Céline Boff

Le moral des Français est au plus bas. D’après un tout récent sondage*, seuls 43% des citoyens se disent optimistes pour leur avenir personnel et ils sont à peine 23% à croire en l’avenir de leur pays… Cette enquête confirme le pessimisme français, dont les médias se font régulièrement l’écho. Notamment outre-Manche et outre-Atlantique où, sur fond de «French bashing», la presse multiplie les Unes sur «la dépression chronique» de la France.

Mais est-ce vraiment le cas? «Le pays n’est pas en dépression, répond l’économiste Claudia Senik, auteure de L’économie du bonheur, ouvrage à paraître le 16 octobre chez Seuil, mais les enquêtes prouvent que, toutes choses égales par ailleurs, les Français déclarent environ 20% de bonheur de moins que les autres peuples, principalement parce qu’ils ne parviennent pas à se projeter positivement dans l’avenir».

Si les Français ne croient pas aux lendemains, c’est parce qu’ils sont trop tournés vers un passé idéalisé, estime l’experte: «la mondialisation a affaibli la grandeur et l’influence de la France et menace son modèle social. Ces éléments nourrissent un pessimisme défensif chez les citoyens: en refusant de s’ajuster aux changements exigés par le monde extérieur, ils ne font que laisser la situation se détériorer; ce qui conforte leur pessimisme».

Les Français se disent plus heureux que les Allemands

Des indicateurs peuvent aussi expliquer ce vague à l’âme: si la croissance a progressé de 97% en France en 40 ans, la hausse a été moins forte qu’en Allemagne (+112%) ou en Grande-Bretagne (+121%). «Or, se comparer négativement aux autres pays nuit au sentiment de bonheur», poursuit l’économiste.

«Nous enregistrons aujourd’hui des records de pessimisme, parce que les Français ont l’impression d’assister à un naufrage collectif, avec un chômage et une pauvreté en hausse, une croissance et un ascenseur social en panne», confirme Régis Bigot, directeur de recherche au Credoc, un centre spécialisé dans l’observation des conditions de vie.

«Il faut toutefois distinguer le regard que les Français portent sur leur niveau de confort et sur leur bien-être individuel», tempère-t-il. «Si la question posée est: "tout bien considéré, vous sentez-vous heureux?", l’enquête World Values Survey prouve que les Français s’estiment plus heureux que les Suédois, les Espagnols, les Italiens, les Allemands ou encore les Finlandais».

Plus précisément, 95% des classes moyennes et des hauts revenus se disent assez ou très heureux, et 85% des bas revenus. «Sur trente ans, la part des Français se déclarant très heureux ne cesse en outre de progresser», insiste Régis Bigot.

«Il n'y a pas de perte d'initiative en France»

Pour Jacques Malet, président de l’institut Recherches et Solidarités, il faut également noter «qu’environ 30% des citoyens veulent vraiment aller de l’avant, soit en créant une entreprise, soit en s’impliquant dans une association. Cette proportion est plus faible qu’outre-Manche, mais il n’y a pas de perte d’initiative en France, ce qui pourrait témoigner d’une réelle dépression. Au contraire: tous types de bénévolat confondus, le nombre de volontaires a par exemple progressé de 4% en trois ans. Nous pouvons même penser qu’une mutation de la société s’opère».

L’envie de transformer la France ne cesse en tout cas de progresser. En 2014, et c’est une première depuis 35 ans, «les Français sont même plus nombreux à vouloir changer les choses radicalement que progressivement –ils sont 44% contre 40%», dévoile Régis Bigot. Pour Claudia Senik, «les raisons de croire en l’avenir sont réelles. D’ailleurs, les Anglo-Saxons ne railleraient sans doute pas notre tendance dépressive si nous étions dans une situation vraiment déplorable».

*Sondage CSA pour BFMTV réalisé du 2 septembre au 2 octobre auprès de 4.032 personnes représentatives de la population française majeure, sélectionnées selon la méthode des quotas.