Assouplissement des seuils sociaux: «L'impact sur l'emploi sera négligeable»
INTERVIEW•Pour l'économiste Eric Heyer, l'urgence est surtout de moderniser et de renforcer le dialogue social...Propos recueillis par Céline Boff
La rentrée a sonné pour le patronat et les syndicats. Ces organisations se retrouvent ce mardi pour définir le calendrier des prochaines négociations, qui porteront notamment sur la question des seuils sociaux.
Pour le Medef comme pour le président François Hollande, ces seuils, qui imposent aux entreprises, en fonction de leur taille, une centaine d’obligations, seraient un frein à l’embauche. Vraiment? 20 Minutes a posé la question à Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Assouplir les seuils sociaux créerait-il de l’emploi?
Nous n’avons pas réalisé d’études sur ce sujet à l’OFCE. Mais d’après trois études significatives menées sur cette question, la réponse est non. La première a été réalisée en Italie. D’après cette enquête, dont les résultats ont été publiés dans une revue internationale, aucun emploi n’a été créé après que ce pays a supprimé les seuils sociaux.
En France, deux études ont également été menées, l’une par l’économiste Pierre Cahuc, la seconde par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Elles estiment toutes deux que l’impact sur l’emploi serait négligeable.
Mais une étude de la Fondation Ifrap, un think tank libéral, conclut à la création de 70.000 à 140.000 emplois…
Je ne sais pas si cette étude est bonne ou mauvaise puisque, contrairement aux enquêtes précédemment citées, cette fondation ne soumet pas ses travaux à la critique d’autres économistes. Ce qui est sûr, c’est que l’Ifrap ne compte pas dans ses équipes de grands spécialistes de l’évaluation et que ses chercheurs ne sont pas neutres idéologiquement.
Plus largement, si l’assouplissement des seuils permettait de créer plus de 100.000 emplois, ce serait une avancée significative, mais qui resterait faible au regard des 17 millions de salariés que compte la France et de ses cinq millions de demandeurs d’emploi.
Au-delà de la question des emplois, les seuils sociaux doivent-ils être réformés?
Tout doit toujours être discuté. Il serait important de se souvenir pourquoi ces seuils sociaux avaient été mis en place et quelles contreparties avaient alors été accordées aux employeurs afin d’évaluer si ces compromis font toujours sens aujourd’hui.
Et je rappelle que ces seuils n’avaient pas été créés pour imposer une réglementation supplémentaire aux entreprises mais au contraire pour permettre aux plus petites d’entre elles de déroger au code du travail et de bénéficier d’assouplissements, notamment en termes de fiscalité.
Justement, que coûterait à l’Etat une réforme des seuils sociaux?
D’après les défenseurs de l’assouplissement, cela ne coûterait rien, mais tout dépend de la réforme choisie. Par exemple, si les allégements de cotisations sont étendus à de plus grandes entreprises, il y aura sans doute des créations d’emplois. Mais l’Etat percevra moins de recettes fiscales. Il devra donc trouver le moyen de compenser ce manque à gagner, soit en réduisant encore les dépenses publiques, soit en augmentant les impôts…
Que préconisez-vous?
Pour renforcer les entreprises, il ne faut pas supprimer toutes les contraintes, il faut moderniser le dialogue social. Nos entreprises souffrent avant tout de l’insécurité juridique. Or, quand une entreprise parvient à un accord par la négociation, elle limite, voire rend impossible, les recours ultérieurs aux prud’hommes.
Plutôt que de réformer les seuils sociaux, il serait peut-être judicieux de réorganiser les instances représentatives du personnel. En France, chaque entreprise en a cinq à sept, contre une seule en Allemagne, où elle joue tous les rôles - délégué du personnel, délégué syndical, comité d’entreprise, CHSCT, etc.