ECONOMIEThomas Piketty, l'ennemi n°1 des conservateurs américains

Thomas Piketty, l'ennemi n°1 des conservateurs américains

ECONOMIEL'économiste français est accusé de recycler les thèses de Marx...
Philippe Berry

Philippe Berry

Son livre est en tête des ventes aux Etats-Unis. L'ouvrage a été salué par le Nobel d'Economie Paul Krugman comme «l'un des plus importants de 2014, voire de la décennie». Il a été reçu par le secrétaire américain au Trésor et des conseillers de Barack Obama. Sans surprise, l'économiste français Thomas Piketty dérange les conservateurs américains. Et, en fournissant plus de 200 ans de données prouvant, selon lui, que l'ADN même du capitalisme creuse les inégalités sur le long terme, il leur fait même un peu peur. Ils ripostent sur trois fronts.

1. Thomas Piketty est un marxiste

C'est l'accusation la plus facile, et celle qui revient le plus souvent. Forbes, le Wall Street Journal, les blogs Red State et The Weekly Standard, tout le monde emploie le même gros mot: Marx. Il faut dire que Piketty tend un peu le bâton pour se faire battre. Le titre du livre, «Le Capital au XXIe siècle», est un clin d’œil volontaire au «Das Kapital» de l'économiste allemand. Dans leur ensemble, les critiques zappent les 500 premières pages de données. Ils s'attaquent principalement à la dernière partie du livre, dans laquelle l'auteur expose les solutions politiques, selon lui, nécessaires pour réduire les inégalités. Le WSJ ironise sur un impôt à 80% pour les plus riches, soulignant que les 75% d'Hollande ont suffi «à faire fuir» Gérard Depardieu. «Ces méthodes de redistribution ont déjà été essayées dans des pays où vous ne voudriez pas vivre», enfonce The National Review. Piketty attaque pourtant Karl Marx et Milton Friendman (le conseiller de Ronald Reagan) avec la même ferveur: il leur reproche d'avoir basé leur théorie sur leurs a priori et pas sur des données.

2. Sa méthode n'est pas rigoureuse

Piketty s'est concentré principalement sur l'analyse de documents des impôts. Selon le gérant de portefeuilles Mac Robertson, «unifier des agrégats de différentes sources de revenus écrase le dynamisme de la distribution». Beaucoup de conservateurs rétorquent que le modèle des 1% vs 99% n'est pas statique. Aux Etats-Unis, il y a un va et vient. Selon une étude de l'université de Washington, sur un demi-siècle, plus d'un Américain sur deux passera au moins une année dans le top 10% des revenus annuels. Et si les inégalités se creusent, le niveau de vie global a progressé pour la majorité (espérance de vie, accès à la technologie etc.), souligne Red State.

3. Ses conclusions sur l'origine des inégalités sont fausses

C'est peut-être l'attaque la plus intéressante. Le raisonnement de Piketty se fait en trois temps. Le constat n°1: les inégalité se creusent. Le constat n°2: à l'exception d'une anomalie de 30 ans après la Seconde Guerre mondiale, les revenus du capital R (immobilier, actions, dividendes etc) ont été supérieurs à la croissance C. Conclusion: le capitalisme aggrave les inégalités par un effet boule-de-neige. Quand R > C, ceux qui ont de l'argent investissent, deviennent plus riches et transmettent leur fortune par héritage pendant que la classe moyenne et les plus pauvres font du sur-place avec leur salaire qui stagne. Le conservateur Andrew Breitbart ne dispute pas les deux constats. Mais, comme certains économistes, il s'interroge sur l'origine des inégalités. Son hypothèse: elles font partie de tout système humain et pas simplement du capitalisme. «Il y a des inégalités financières, génétiques et technologiques», écrit-il. Selon un rapport de The Economist, on arrive à un stade où seules la science et la technologie génèrent une forte croissance. Une majorité d'emplois (fermier, ouvrier, analyste financier) sont déjà occupés par des machines et tout le monde n'a pas les capacités pour devenir ingénieur ou chercheur. «Les nouveaux super-riches ne sont pas des rentiers mais des innovateurs», écrit Breitbart. Qui conclut: «La solution n'est pas d'augmenter les impôts. Il faut investir dans l'éducation.» Au moins un point sur lequel libéraux et conservateurs s'accordent.