Travailleurs détachés: «La France veut créer de nouveaux murs entre l'Est et l'Ouest»
INTERVIEW – Rencontre avec l'eurodéputé roumain Cristian Preda...Propos recueillis par Céline Boff
Lundi, les ministres du travail européens se sont mis d'accord sur les moyens de limiter les fraudes concernant les «travailleurs détachés», ces salariés européens qui peuvent travailler temporairement dans un autre pays de l'Union européenne. Mais tout n’est pas fini: un accord doit à présent être trouvé avec le Parlement européen. 20 Minutes a rencontré mardi à Strasbourg Cristian Preda, un eurodéputé roumain (PPE) particulièrement remonté.
Comment réagissez-vous à l’accord décroché lundi à Bruxelles?
C’est un mauvais accord. L’Europe souffre du manque de mobilité de ses citoyens et les Européens se mobilisent pour rendre ce marché encore plus rigide!
Au final, cette décision va surtout profiter au marché noir, déjà très présent dans le bâtiment. Et elle va clairement défavoriser les citoyens des pays de l’Est. Alors qu’ils ont un bon niveau de qualifications, qu’ils ont déjà moins d’opportunités de travail chez eux, ils vont continuer à être tenus à l’écart…
Mais l’idée n’est pas d’interdire les travailleurs détachés, mais de faire respecter les règles… Votre réaction n’est-elle pas nationaliste?
Je défends cette position non pas par nationalisme économique, mais parce que je suis un libéral. Je pense qu’il faut laisser davantage de liberté aux acteurs économiques, qu’il faut leur permettre d’exploiter les ressources du marché intérieur. Je crois que seul le marché peut régler la situation. Pas les gouvernements. Enfin, je pense que cet accord est mauvais car il va créer de la crainte chez les employeurs, notamment la crainte de la bureaucratie.
Plus généralement, l’idée que l’Europe de l’Ouest est actuellement envahie par les Roumains, comme le prétend David Cameron (Premier ministre du Royaume-Uni), est complètement fausse. Il n’y a pas de mouvement massif en Roumanie. Ceux qui voulaient gagner l’Ouest sont déjà partis. Ils l’ont même fait avant 2007, avant que la Roumanie ne rejoigne l’Union européenne… Mais les responsables politiques ne s’en sont pas rendu compte. Ils ont pris conscience de cette situation seulement très récemment.
La France continue de poser certaines restrictions aux travailleurs roumains. Lui en voulez-vous?
La France avait été la grande supportrice de l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne. Nous l’avions de fait présentée à nos concitoyens comme une amie très chère… Et elle a voté le maintien des restrictions jusqu’au bout (jusqu’au 31 décembre 2013, ndlr).
De plus, elle pose aujourd’hui de manière dramatique la question des travailleurs détachés… En tout cas, de ceux qui viennent de l’Est, car ceux qui arrivent d’Espagne ou d’Italie ne semblent pas poser de problème. J’ai l’impression que la France veut créer de nouveaux murs entre l’Est et l’Ouest.
Le sentiment pro-européen décline-t-il en Roumanie?
L’adhésion à l’Union européenne a toujours fait consensus dans notre pays. Nous n’avons pas eu de débats comme il y a pu en avoir en République tchèque ou en Pologne. Mais les Roumains n’ont pas compris pourquoi ils ont dû attendre 2007 pour intégrer l’Europe, alors qu’ils auraient pu la rejoindre dès 2004, comme huit autres pays. Cette incompréhension demeure.
A titre personnel, j’ai bataillé en faveur de l’Europe dès le début des années 1990 et je n’oublierai jamais l’attitude que l’Ouest a eue à notre égard… Je me souviens notamment de ce colloque organisé en 1992 en France et placé sous la présidence d’honneur de François Mitterrand. Le nom de cet événement, c’était «Les tribus ou l’Europe». Et les tribus, c’était nous…
Comment analysez-vous le rapport qu’entretient la France avec l’Europe?
Je suis trop attaché à votre pays pour en dire du mal… Mais si Marine Le Pen arrive en tête des prochaines élections européennes, ce sera une honte pour votre pays et pour l’Europe. Et pour nous, ce sera un résultat impossible à expliquer à nos peuples.