Pourquoi il ne faut pas se fier au PIB
MESURE•«20 Minutes» fait le point sur les limites de l'indicateur phare de nos Etats...Céline Boff
Le PIB, pour produit intérieur brut, est utilisé comme le thermomètre de la santé des Etats. Pourtant, nombre d’économistes pensent que cet indicateur ne traduit pas vraiment la bonne tenue d’une société. Explications avec Jean-Paul Fitoussi, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), rencontré lors du LH Forum, événement consacré à l’économie positive et durable.
Le PIB ne reflète pas le niveau de vie des populations
Rappelons d’abord que le PIB mesure l’activité marchande d’un pays. Maintenant, «imaginons que le secteur marchand français soit redevenu extrêmement dynamique et qu’il parvienne à croître de 3% en un an. Les populations en bénéficieraient-elles forcément? Eh bien non», assure Jean-Paul Fitoussi.
Car le PIB n’est qu’une moyenne. Et même si sa croissance est vigoureuse, la richesse créée peut n’être absorbée que par une infime partie de la population. «Ces trois dernières décennies, les PIB de nombreux Etats ont progressé et dans ces pays, les inégalités se sont accrues considérablement dans », confirme l’économiste.
Le PIB ne reflète pas la richesse d’un Etat
«Nous mesurons régulièrement les dépenses d’un Etat, que ce soit dans les domaines de la santé ou de l’éducation, mais nous ne savons pas mesurer sa production, son retour sur investissement», avance Jean-Paul Fitoussi. Surtout qu’il n’est pas possible de faire le lien entre le montant des dépenses et leurs retombées. «Par exemple, les Etats-Unis dépensent davantage que la France en matière de santé: 16% de leur PIB, contre 11% pour nous. La production de santé est-elle pour autant plus élevée aux Etats-Unis qu’en France? Nous pouvons en douter».
Autre exemple: les nationalisations. «Lorsque l’Etat reprend une entreprise privée, le PIB baisse automatiquement, puisque la production de cette société n’est plus comptabilisée dans l’activité marchande… Même si elle produit autant qu’avant!», explique Fitoussi.
Le PIB ne reflète pas l’évolution d’une société
Parce qu’il ne mesure pas, par exemple, la qualité environnementale d’une ville. Le PIB peut donc progresser, mais la propreté d’une cité peut se dégrader… «Ce que les populations n’apprécient pas», fait remarquer Jean-Paul Fitoussi.
Autre exemple: l’insécurité. «Celle-ci peut inciter les citoyens à acquérir des portes blindées ou à installer des alarmes, ce qui va accroître leurs dépenses et donc faire progresser le PIB… Mais ça ne témoignera pas du mal-être de la collectivité», poursuit Jean-Paul Fitoussi.
Le PIB n’incite pas les politiques à changer la donne
Le PIB ne mesure ni le bien-être des populations, ni la soutenabilité d’une société. «Mais il est le seul indicateur regardé par les politiques. Et c’est ce que nous mesurons qui détermine ce que nous faisons», pointe Jean-Paul Fitoussi. Autrement dit, si la France ou l’Europe s’appuyaient demain sur d’autres indices, «les élus modifieraient plus rapidement leur politique, car leur priorité est avant tout d’être réélus», estime Jean-Paul Fitoussi.
Reste la difficulté de mettre au point de tels indicateurs, comme l’illustre l’exemple du Bhoutan. Il y a 40 ans, ce pays créait le bonheur national brut (BNB), un indice pensé pour prendre en compte la croissance mais aussi l’environnement ou encore la bonne gouvernance, et mesurer ainsi le bien-être réel de la société. Mais, de plus en plus frappés par la pauvreté et le chômage, les citoyens ont fini par élire cet été un nouveau gouvernement, qui vient de remettre en cause la pertinence de cet indice et donc son usage.