Les auto-entrepreneurs plument-ils vraiment les artisans?
DECRYPTAGE•Les professionnels dénoncent la concurrence déloyale du régime, en dépit des statistiques officielles...Claire Planchard
La guerre est déclarée. A coups de communiqués et de réunions à Bercy, les fédérations professionnelles artisanales le répètent haut et fort: il faut au minimum limiter dans le temps les bénéfices du régime de l’auto-entrepreneur et au mieux en exclure «toutes les activités de l’artisanat et du commerce de proximité». Une revendication qu’ils ne manqueront pas de porter jeudi lors d’un entretien avec la ministre de l’Artisanat, Sylvia Pinel, à Bercy.
«Concurrence déloyale légalisée»
Durement frappés par la crise, professionnels du bâtiment, coiffeurs ou boulangers dénoncent avant tout la «concurrence déloyale légalisée» exercée par le régime de l’auto-entreprise (AE) depuis sa création en 2009. «Pas de TVA, pas de salarié, pas d’investissement, pas de CFE [cotisation foncière des entreprises], des charges limitées et reportées: l’Etat encourage les auto-entrepreneurs à s’exonérer des prélèvements qu’il impose aux autres agents économiques. C’est proprement inacceptable», expliquait lundi dans un communiqué l’Union professionnelle artisanale (UPA).
Pour la Confédération nationale de la boulangerie, «les “poussins” [nom donné aux auto-entrepreneurs opposés à cette réforme] ont bien grandi depuis la mise en place du régime» et «il est plus que temps qu'ils (…) respectent toutes les règles applicables par ailleurs», en termes d'hygiène et de sécurité. «En 2013, le bâtiment verra son activité diminuer de 3,5% et perdra 40.000 emplois. Les artisans et les chefs d’entreprise, soumis à des obligations de qualifications, d’assurance et de formation (…) n’ont pas besoin de la concurrence déloyale que les auto-entrepreneurs exercent au quotidien», résumait pour sa part mardi la Fédération française du bâtiment.
Complémentarité plutôt que redondance
Un argumentaire que réfutent formellement les auto-entrepreneurs: «Les artisans se trompent de combat. Au lieu de chercher à améliorer leur situation, notamment avec des aides aux financements (…) le gouvernement brandit un bouc émissaire pour détourner leur attention», expliquait mardi à 20 Minutes Adrien Sergent, porte-parole du collectif «Défense Poussins».
Pour leur défense, les «pioupious » ont un argument de poids: le rapport sur l’évaluation du régime des auto-entrepreneurs commandé par Sylvia Pinel à l’inspection générale des finances (IGF) et à l’inspection générale des affaires sociales (Igas). «Il n’y a pas de redondance, mais plutôt complémentarité avec les autres régimes», note en préalable la mission. Concernant le «risque de concurrence déloyale en raison de taux de prélèvements sociaux et fiscaux plus faibles», la constate que les ajustements prévus dans le budget 2013 (relèvement des taux applicables aux AE et reforme parallèle des prélèvements sur le bas de distribution des travailleurs indépendants) «ont permis de neutraliser le différentiel de pression». Enfin, elle relativise la portée de cette distorsion au regard du faible poids économique des AE: moins de 0,7% du chiffre d’affaires des entreprises du bâtiment de moins de 20 salariés.
Au final, parmi ses 28 recommandations, le rapport préconise notamment de «conserver le périmètre des activités concernées par le régime» et de «ne pas limiter dans la durée le bénéfice du régime et ne pas modifier les règles de radiation du régime», contrairement au projet du gouvernement. L’arbitrage devrait être rendu d’ici mi-juin.