Lancement du journal «L'Opinion»: Un pari économique risqué mais réfléchi?
INTERVIEW•Lancer un journal papier payant en 2013 en France est une entreprise financièrement risquée. Mais avec un modèle pensé à partir des erreurs des autres, l'avenir peut s’éclaircir...Bertrand de Volontat
Vingt ans que les kiosques attendaient ça. Ce mercredi, un nouveau titre quotidien, L’Opinion, fait son apparition. Il est la création de Nicolas Beytout, l’ancien patron de la rédaction du Figaro puis des Echos, qui lance ici un quotidien bi-média payant (journal papier à 1,5 euro et abonnement Web, vidéo et papier à 21 euros). Un entrepreneur français a donc décidé de tenter l’aventure de la presse, un secteur pourtant en recul depuis deux décennies. Un journal papier payant, une folie? Nicolas Beytout confiait lui-même récemment à 20 Minutes: «C’est à contre courant mais ce n’est pas complètement fou ou ubuesque.»
>> L'interview complète de Nicolas Beytout à 20 Minutes est à retrouver par ici
Mais quel business model pourra permettre à cette entreprise, qui a levé avant son lancement trois ans de capitaux, de réussir en France dans un environnement miné? Erwann Gaucher, PDG de Cross Media Consulting répond à 20 Minutes.
Est-ce une folie de lancer un quotidien papier payant (et politiquement orienté)?
Dans un contexte financier où tous les quotidiens, qu'ils soient régionaux ou nationaux, voient leurs ventes chuter, leurs recettes publicitaires en berne et leurs coûts exploser, oui, c'est une aventure sans doute un peu folle. Si l'on regarde l'état de la presse quotidienne nationale, sur le papier, L'Opinion a peu de chances de réussir. Mais attention, Nicolas Beytout ne s'est pas lancé n'importe comment, et il a justement retenu certaines leçons de ce qui fait aujourd'hui la faiblesse des quotidiens: L'Opinion aura une pagination réduite (8 à 12 pages), une équipe resserrée (39 salariés) et ainsi des coûts réduits. Et sa ligne éditoriale semble assez marquée: libérale, pro-business et pro-européenne. Clairement, L'Opinion ne vise pas le très grand public mais une cible de décideurs économiques et politiques. Cela veut dire aussi qu'il ne sera pas forcément obligé d'opter pour une distribution large dans toute la France, peu efficace et souvent très coûteuse, tout en se positionnant sur un marché publicitaire précis. Bref, c'est loin d'être gagné, mais L'Opinion a quelques atouts à faire valoir qui pourraient créer la surprise.
Ce journal papier est-il voué à disparaître au profit de son site Web au bout de quelques années, à l’image de La Tribune (que L’Opinion va concurrencer)?
Difficile à dire, mais la comparaison avec La Tribune n'est pas forcément la bonne. Ils chasseront en partie sur les mêmes terres, mais la façon dont La Tribune est venue au Web, en traînant des pieds pour une grande partie de l'équipe, après avoir échoué à relancer sa version papier, et en annonçant sa propre disparition en une du dernier numéro alors même que le site voulait se lancer, tout cela n'augurait rien de bon. L'Opinion sera le premier quotidien national à se lancer simultanément sur le Web et le papier. Ils ont donc l'opportunité de travailler dès le départ sur une véritable complémentarité et en tirant les leçons de tout ce qui a été fait auparavant par les autres quotidiens depuis quinze ans.
Les lecteurs vont-ils être réceptifs au support papier?
Impossible à dire, mais sans doute, pour les séduire, faut-il s'inspirer de ce qui fonctionne sur tous les supports: des contenus de grande qualité, un journal condensé et organisé entre le papier et le Web en fonction des usages des lecteurs, un ton très marqué en fonction de sa cible, des services en ligne correspondant aux besoin de cette même cible. Mais ce qui rend l'exercice compliqué est qu’il n'existe plus un business model unique que chacun peut plus ou moins adapter. Chacun doit totalement inventer son modèle de A à Z ou presque.
Ce lancement est-il une lueur d’espoir pour l’économie de la presse?
Une lueur d'espoir sans doute, ce serait-ce que parce que cela prouve que certains sont encore prêts à investir dans le papier. Mais il est beaucoup trop tôt pour que cela représente un signe pour tout le secteur.