Marché du travail: La France doit-elle s'inspirer de l'Allemagne?
INTERVIEW – Guillaume Duval, auteur de l'ouvrage «Made In Germany, le modèle allemand au-delà des mythes», répond aux questions de «20 Minutes»...Propos recueillis par Céline Boff
Il y a tout juste dix ans, le 14 mars 2003, l’ex-chancelier allemand Gerhard Schröder lançait «l'Agenda 2010», une série de réformes radicales. Ces mesures ont-elles permis au pays le plus riche d’Europe de rebondir plus facilement après la crise de 2008? 20 Minutes fait le point avec Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques et auteur de l’ouvrage Made In Germany, le modèle allemand au-delà des mythes (Seuil).
Quel regard portez-vous sur Gerhard Schröder?
Lorsqu’il est arrivé au pouvoir [en 1998], l’Allemagne avait des dépenses publiques importantes et, surtout, un coût du travail élevé, du fait de la réunification. Le chancelier a appliqué une politique utile au départ, mais il l’a conduite de manière trop forte et pendant trop longtemps.
L’Allemagne ne lui doit-elle pas sa bonne santé économique?
La sortie de crise de l’Allemagne n’est absolument pas liée aux réformes Schröder. Bien au contraire, ses décisions ont creusé les inégalités et aggravé la pauvreté. L’Allemagne compte désormais davantage de pauvres que la France, c’était l’inverse avant l’arrivée de Schröder au pouvoir. Et trois millions de personnes –surtout des femmes- travaillent pour un salaire inférieur à six euros de l’heure. De plus, Schröder a dégradé les finances publiques: sous ses mandats, il a alourdi la dette de 390 milliards d’euros et le déficit a dépassé les 3%.
Comment expliquer alors que l’Allemagne soit si forte?
D’abord grâce à sa démographie très faible. La population française s’est accrue de cinq millions de personnes depuis 2000, quand celle de l’Allemagne a diminué de 500.000 habitants. La France se félicite toujours de sa démographie soutenue, mais élever des enfants coûte cher en termes de dépenses publiques et privées.
Ensuite, l’Allemagne n’a connu aucun boom immobilier. Depuis 1995, les prix sont restés stables outre-Rhin, alors qu’ils ont été multipliés par 2,5 en France. Cet écart a un impact important sur le coût de la vie, et la stabilité des prix immobiliers allemands explique aussi la modération salariale qui s’est pratiquée dans le pays.
Comment décryptez-vous la compétitivité allemande?
Lorsque les pays d’Europe centrale et orientale ont rejoint l’Union européenne, les Allemands ont su les intégrer très vite dans leur économie… en y délocalisant une partie de leur production, faisant ainsi chuter le coût de leurs produits finis. Ils ont su profiter des réseaux tissés par les entreprises de l’ex-Allemagne de l’Est. L’économie française a moins joué ce jeu, parce que notre influence est moindre dans cette partie de l’Europe.
Par ailleurs, l’Allemagne est spécialisée depuis longtemps dans la production de machines, qui sont les produits les plus demandés par les pays émergents. Même Renault a installé des machines allemandes dans son usine de Tanger! Idem pour sa production d’automobiles. Comme on le sait, l’Allemagne s’est positionnée sur le haut-de-gamme. Et quand des millions de Chinois aisés décident d’acheter une voiture, ils optent pour une BMW, pas pour une Renault.
Voilà ce qui explique le succès du modèle allemand, et cela n’a rien à voir avec Schröder.
Aucune des réformes Schröder ne trouve grâce à vos yeux?
Ce qui trouve grâce à mes yeux, c’est ce qu’il n’a pas fait: toucher à la codétermination, c’est-à-dire à la participation des employés aux décisions de l’entreprise. D’ailleurs, si Gerhard Schröder a amené dans le modèle allemand de nombreux éléments de flexibilité –intérim, mini-jobs, etc.- les entreprises ne s’en sont pas servies en 2009. La récession y était pourtant deux fois plus forte que chez nous. L’emploi est resté stable, car les syndicats ont toujours un pouvoir très important. Et c’est ce qui sauve l’industrie allemande, puisque cela la préserve du court-termisme et des actionnaires.
La France doit-elle s’inspirer de l’Allemagne?
Oui, elle devrait s’inspirer de cette codétermination mais aussi du rapport des Allemands aux diplômes et à l’apprentissage. Gerhard Schröder lui-même a suivi, à 14 ans, un apprentissage (vente de porcelaine). Il n’est devenu avocat que plus tard. Autre exemple: l’ancien patron de Mercedes avait débuté dans ce groupe comme apprenti… C’est inenvisageable en France, où le diplôme initial fige à jamais la position que l’on tiendra dans l’entreprise. Tant que l’on ne fait pas évoluer cette mentalité française, l’apprentissage continuera d’être considéré chez nous comme une voie de garage.