Pourquoi le raffinage cale en France?
INDUSTRIE•L'Hexagone ne compte plus que huit raffineries en activité contre 24 en 1970...Claire Planchard
Reprendre le site Petroplus de Petit-Couronnes, une si mauvaise affaire? Mercredi, le tribunal de commerce de Rouen a une nouvelle fois reporté le dépôt des offres de reprise, faute de dossier «viable». «C’est un projet risqué. Il faut avoir les capacités financières pour investir dans ce site qui en a besoin mais aussi pour supporter les aléas de l’activité», reconnaissait mercredi matin le président de l’Union française des industries pétrolière (Ufip), Jean-Louis Schilansky.
Une rentabilité sous pression
«Les difficultés du secteur ne sont pas tant liées au manque de productivité des raffineries françaises qu’à l’extrême volatilité de leurs marges brutes qui dépendent de deux marchés financiers: celui des prix du pétrole brut et celui de celui des produits raffinés», explique Thomas Porcher, spécialiste du pétrole à l’ESG MS.
En 2011, l’effondrement des marges brutes à 14 euros/tonne en moyenne s’était ainsi soldé par des pertes de 1 milliard d’euros pour le secteur. Et l’embellie de 2012 (34 euros/tonnes en moyenne) ne devrait pas lui permettre de revenir durablement bénéficiaire, selon l’Ufip. En l’espace de quelques mois, les marges sont en effet passées de 18 euros en février à 40 euros en avril puis 25 euros en mai, pour atteindre un nouveau record en septembre de 63 euros, pour chuter à 14 euros en décembre.
Une variabilité que les pétroliers rechignent d’autant plus à assumer que la consommation pétrolière ne cesse de reculer. «En 10 ans, l a demande française a reculé de 12 millions de tonnes à 75,3 millions, soit son niveau de 1985», soulignait mardi Jean-Louis Schilansky. Un recul accéléré depuis 2009 par la crise économique mais aussi par des mutations structurelles (efficacité énergétique, nouvelles motorisations…)
Une demande en baisse dominée par le diesel
Autre facteur aggravant en France: la prépondérance de la consommation de gazole (38,1 millions de tonnes en 2011, en hausse de 7,5%) par rapport à celle de super carburants (7,33 millions, en baisse de 6,5%). «La diésélisation de notre économie joue négativement pour nos raffineries car elles se trouvent en surproduction d’essence qu’elles doivent exporter, parfois moins cher aux Etats-Unis, alors qu’elles doivent importer du diesel de Russie (50% de la consommation)», note Thomas Porcher. «On produit autant de diesel et aussi peu d’essence que possible mais on n’arrive pas à équilibrer davantage la production, selon les lois de la physique», résumait mardi Jean-Louis Schilansky.
Il existe bien de nouveaux systèmes hypersophistiqués permettant d’ajuster le ratio de production essence/diesel à la demande des automobilistes. «Total l’a notamment testé en Arabie saoudite, mais les industriels rechignent à investir en France dans les activités aval de raffinage car le retour sur investissement est trop faible par rapport à celui des investissements en amont dans l’exploration-exploitation», note Thomas Porcher.
Reste une autre solution: jouer sur la demande en modifiant la fiscalité très avantageuse du diesel au profit de celle sur l’essence. Une mesure aussi impopulaire que financièrement délicate en période de réduction des déficits. «C’est le serpent qui se mord la queue», souligne le spécialiste.
En attendant, deux raffineries ont déjà fermé en France en 2010 (la rafinerie Total des Flandres à Dunkerque et la raffinerie Pétroplus de Reichstett en Alsace) et deux autres sont à l’arrêt (Petit-Couronne et Berre). Au total, l’Hexagone ne compte plus que 8 raffineries en activité contre 24 en 1970. « Les raffineries françaises ont beaucoup donné. J’espère désormais que la situation va se stabiliser mais on va chercher les équilibres pendant quelques années encore», notait mardi l’Ufip, qui estime entre 8 et 10% les surcapacités de raffinage en Europe à l’horizon 2015.