Ikea, H&M, Spotify, Skype... Comment la Suède fabrique ses champions
REPORTAGE•Alors que l'Europe est empêtrée dans la crise, la Suède affiche une bonne santé économique. «20 Minutes» vous propose une série de reportages sur ce modèle. Ce vendredi, partez à la découverte de la compétitivité suédoise...Céline Boff
Le pacte de compétitivité imaginé par le gouvernement Ayrault redonnera-t-il du tonus aux entreprises françaises? Le pays se classe à la 18e position des puissances les plus compétitives dans le monde, selon le World Economic Forum. Très loin derrière la Suède, qui caracole à la troisième place. 20 Minutes est parti au pays du krisprolls pour tenter de percer son secret. C’est le quatrième reportage de notre série consacrée au royaume nordique.
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De notre envoyée spéciale à Stockholm
Electrolux, Volvo, Saab, Ericsson, Ikea, H&M, Spotify, Skype… Ces entreprises à la renommée internationale sont toutes nées en Suède. «Ce tout petit pays est parvenu à faire émerger bien des leaders», remarque Frédéric Laziou, trentenaire français installé à Stockholm. La plupart de ces majors ont conservé leur siège en Suède, pourtant «dans le top 10 des pays où les impôts sont les plus forts», avance Frédéric Laziou, qui dirige Opera capital partners, une société de fusion-acquisition spécialisée dans les nouvelles technologies.
A la tête du groupe Gents Wear, Pierre-Maurice Aflalo a introduit l’habillement de luxe en Suède. «Nous leur avons appris à prononcer Yves Saint-Laurent», se souvient-il. Et ça n’a pas été facile: «Le luxe est un style de vie que les Suédois ont du mal à accepter. Ce n’est pas un hasard si Ikea ou H&M sont nés ici… Les Suédois aiment le pratique et le fonctionnel, leurs entreprises sont donc très axées sur le rapport qualité-prix».
«Créer une ville attractive»
Si la Suède parvient à faire émerger des champions, c’est également grâce à sa tradition exportatrice. «Après la seconde guerre mondiale, elle a su s’imposer comme le fournisseur de l’Europe en reconstruction», rappelle Pierre-Maurice Aflalo. Pour Frédéric Laziou, cette ouverture était inévitable «au vu de la taille de son marché intérieur, très réduit». Pour séduire le monde, le pays a décidé de suivre une voie: celle de l’innovation.
Pour le comprendre, direction Kista, ou plutôt, Chista comme le prononcent les Suédois. Surnommé la Silicon Valley suédoise, ce quartier est situé à une vingtaine de minutes en métro du centre de Stockholm. 1.168 entreprises, de la start-up au grand groupe, y sont installées, et 80% d’entre elles exportent. Ericsson y a établi son siège dans les années 1970. «C’est ici que le premier téléphone mobile GSM a été créé», avance fièrement Niclas Grahn, de Kista science city AB, la structure chargée de développer le secteur. Qui a été imaginé comme une ville.
«Nous ne nous focalisons pas seulement sur le business, nous cherchons à attirer des universités et des instituts de recherche, mais aussi des restaurants et des boutiques. Nous installons des logements et des équipements. Le but est de créer une ville attractive, où les talents ont envie de travailler, et de s’installer.»
Cela a été rendu possible par les liens tissés entre le privé et le public, dès les années 1970. «Nous sommes un petit pays froid et sombre, c’est peut-être ce qui explique notre tradition de collaboration. Chez nous, travailler main dans la main signifie être attentif à ses besoins, mais également à ceux des autres.»
«Notre monnaie est chère»
L’incubateur Sting, financé à 70% par l’Etat, est installé au cœur de Kista. Il accueille chaque année une quinzaine de sociétés en démarrage. Avec des critères rigoureux: «Elles doivent avoir une stratégie internationale et proposer une innovation qui répondra bien aux besoins des clients et qui soit évolutive», détaille Jill Lindström, l’une des responsables. Pour y parvenir, l’incubateur s’emploie à développer un réseau international d’investisseurs, de partenaires et de distributeurs potentiels.
Contrairement aux industries suédoises, plutôt installée dans le sud du pays, les entreprises de Kista n’ont pas été affectées par la crise. Cela durera-t-il? «Nous n’avons pas l’euro, mais l’Europe est un marché primordial pour nous. Elle se porte mal et notre monnaie est 10% plus chère aujourd’hui…», s’inquiète Boa Ruthström, à la tête d’Arena Idé, l’un des cercles de réflexion les plus influents du pays.
Il estime que l’Etat n’investit pas suffisamment dans la recherche, étant trop focalisé sur ses comptes, pourtant au beau fixe. «Le gouvernement a décidé de baisser l’impôt sur les sociétés de 26% à 22% en 2013. Nous serons alors en dessous de la moyenne européenne. Je me demande quels changements la Suède peut préparer si chacun paie toujours moins», conclue-t-il.