Booba au Maroc : Ce qui se cache derrière son concert annulé pour propos sexistes
polémique•Prévu le 21 juin à Casablanca, le concert du rappeur a été annulé par les autorités locales, sur fond de polémique autour de propos sexistesOctave Odola
L'essentiel
- Un concert de Booba au Maroc prévu fin juin a été annulé par les autorités.
- La raison invoquée ? Des paroles du chanteur jugées sexistes. En fait, l’annulation met fin à une polémique de plusieurs semaines impliquant les internautes, son rival Maes, et même la justice et la classe politique marocaine.
- 20 Minutes revient sur la chronologie de cette affaire et les questions qu’elle soulève avec Benjamine Weill, autrice du livre « A qui profite le sale, sexisme, racisme, capitalisme dans le rap français. »
Une date, des piques sur les réseaux, une pétition, une annulation. A l’issue d’un feuilleton de plusieurs semaines, le verdict est tombé : Booba ne pourra pas se produire le 21 juin prochain sur le sol marocain. Le concert de cette pointure du rap français a été annulé par les autorités du pays. La raison officielle ? Des propos sexistes dénigrant les femmes marocaines dénichées dans le répertoire du « duc de Boulogne ».
Derrière cette histoire se cache un ancien protégé d’Élie Yaffa (vrai nom de Booba), un parti d’opposition islamiste marocain et une pétition ayant agrégée 4.500 signatures. 20 Minutes revient sur la chronologie de cette histoire et les accusations de sexisme visant la plume la plus célèbre du rap français :
Que reprochent les autorités marocaines à Booba ?
La préfecture de Casablanca-Anfa a dit non au rappeur, coupable selon elle d’avoir tenu des propos sexistes en chanson. Deux passages ont cristallisé les tensions : « Je vais à la chicha pour les beurettes », prononcé par le rappeur dans le morceau « Génération Assassin », et « petite marocaine qui se tape Berlusconi », phrase issue du morceau « E.L.E.P.H.A.N.T », en référence à une Marocaine surnommée Ruby qui avait participé aux soirées « bunga bunga » de l’ex-président italien alors qu’elle était mineure.
Ces punchlines datant de plusieurs années sont remontées aux oreilles des autorités marocaines après le lancement d’une pétition et d’une plainte du Club des Avocats du Maroc pour « diffamation et injures portées contre les femmes marocaines ».
Sans transposer l’histoire avec la situation en France, Benjamine Weill, autrice du livre A qui profite le sale, sexisme, racisme, capitalisme dans le rap français, semble surprise par la démarche marocaine, et y voit une attaque plus sournoise de l’artiste. « Le fond de la démarche paraît plus raciste que féministe. Le gouvernement marocain n’est pas particulièrement sensible à ce type de question. Maes peut se produire au Maroc malgré ses paroles sexistes. On est plus sur une guéguerre entre les deux artistes, avec un argument sexiste pour voiler un racisme plus profond. Comme en France quand on attaque le rap sur son sexisme ».
Pour notre spécialiste, le sexisme du « rap game » n’est d’ailleurs « pas tellement du fait des rappeurs eux-mêmes, mais plus des producteurs et des médias, qui pointent systématiquement le sexisme de ce genre. Derrière, il y a un impensé raciste. »
Une polémique téléguidée et politisée ?
Avant d’atteindre la sphère judiciaire, la polémique est d’abord née sur les réseaux sociaux. L’appel à l’annulation a été relayé par quelques profils influents de l’Internet marocain. Puis la polémique a été boostée par le soutien de Maes, en brouille avec Booba après avoir collaboré avec lui au début de sa carrière. « On reçoit beaucoup de plaintes pour que tu ne viennes pas chanter. Sache que tu n’es pas le bienvenu », avait tweeté en mai dernier le rappeur aulnaysien, qui possède des origines marocaines. Avant de se vanter d’avoir « annulé le concert » de Booba.
Pour protester contre la venue de l’artiste, un sit-in devait d’ailleurs être organisé en mai dernier. Il a finalement été annulé après la décision de la préfecture d’annuler le concert il y a quelques semaines, entraînant une période de flou jusqu’à ce mercredi, les organisateurs du concert n’ayant pas communiqué sur le sujet.
La sphère politique s’en est aussi mêlée. Naïma Al-Fathaoui, une élue du parti islamiste d’opposition PJD, avait adressé une question écrite au ministère de la Culture, en lui enjoignant de rétablir le « respect de la femme marocaine et à la préservation de sa dignité en interdisant le concert ». Comme le rappelle France Inter, le ministère avait refusé de prendre position pour cet « évènement privé ».
« En France, c’est souvent l’extrême-droite qui agite la menace des annulations de concert de rappeurs, rappelle notre spécialiste. Cette affaire de concert pointe aussi le mélange d’influence et de jeu politique joué par certains artistes ».
Une polémique similaire en 2016… à Lyon
Pour l’heure, Booba n’a pas réagi. Sa dernière déclaration sur l’histoire remonte au 15 mai dernier. « Si le concert était annulé ce serait regrettable : on aime le Maroc, on aime l’Afrique, on n’a jamais insulté aucun Marocain ni aucun Africain (…) Ce serait triste pour les femmes, pour la musique, pour l’Afrique. Et si c’est annulé, on est désolés », communiquait « Kopp » sur Twitter. Il faut dire que l’ancien de Lunatic est habitué à ce genre de polémique.
Il y a six ans, l’artiste de 46 ans avait été contraint d’annuler un concert dans la capitale des Gaules pour raison de sécurité. En cause, des échauffourées attisées par Bassem, un influenceur polémiste, condamné depuis à de la prison avec sursis pour propos homophobes. A l’époque, Bassem, régulièrement auteur de saillies racistes, reprochait à Booba son… « non-respect des beurettes ». Une polémique sur les réseaux sociaux, des tensions, une déprogrammation… Et une enquête de gendarmerie. Les mêmes ingrédients, pour une même finalité.