Vous les avez kiffés ? Les « sexy boys » des séries ados sont en fait ultra-toxiques
TEEN DRAMA•Les séries ont un rôle à jouer dans la banalisation de la culture du violLaure Beaudonnet
A la fin, c’est souvent (toujours ?) le bad boy qui remporte le cœur de la jeune fille. Ténébreux, rebelles, à moitié alcoolos, illettrés… De Dylan McKay dans Beverly Hills à Tim Riggins dans Friday Night Lights, en passant par Drazic dans Hartley cœurs à vif et Jordan Catalano dans Angela, 15 ans, les personnages des séries ados de la culture populaire répondent quasiment tous au même stéréotype du sale type au cœur tendre (bien caché). Ils ont été malmenés par la vie, abandonnés dans leur enfance, souvent maltraités par leurs parents. Ils sont sanguins quand ils ne sont pas carrément violents, ils flirtent avec les marges de la société et ça fait chavirer les cœurs.
Retour sur les personnages des séries télévisées des années 1990 à 2010 qui ont tourné les têtes et, par la même occasion, participé à une idéalisation des comportements toxiques dans les relations amoureuses.
Depuis les années 1990, la plupart des « teen drama » reposent sur le même mécanisme : une jeune fille sage et de bonne famille s’éprend du mauvais garçon au comportement toxique. Dylan McKay de Beverly Hills est un archétype parfait du bad boy perdu. Il est aussi beau que troublé, amoureux et fougueux. Il a des problèmes d’alcool, son père est arrêté par la police et n’est pas toujours fidèle en amour. Brenda Walsh, de son côté, est une adolescente bien éduquée qui se rebelle contre son père en décidant d’avoir des rapports sexuels avec Dylan lors du bal de promotion.
La relation entre Tim Riggins et Lyla de Friday Night Lights est un autre exemple de cette structure narrative qui repose sur la jolie jeune fille sans problème prête à sauver le beau marginal. Tim est un séducteur, il boit beaucoup, il est explosif, parfois hors de contrôle et ça fait craquer Lyla.
Que ce soit Brenda, Lyla ou Angela d’Angela, 15 ans, elles veulent se prouver qu’avec elles, ils vont changer. Elles pensent soigner leurs tourments avec une bonne dose d’amour. Ces « teen drama » « banalisent le fait de se dire : "Avec moi, il sera différent." Ça induit que l’héroïne peut "guérir" le héros, ce qui renforce le stéréotype du travail du care comme trait inné des femmes par rapport aux hommes, la croyance qu’elles peuvent les changer, éveiller le prince charmant qui sommeille en eux, analyse Eléonore Stévenin Morguet, cofondatrice de 1001 Héroïnes, qui a pour objectif d’augmenter la visibilité des filles et des femmes dans la société, notamment dans les arts, les œuvres littéraires et cinématographiques.
Les comportements toxiques sont romantisés par les séries télévisées pour adolescents. Drazic de Hartley cœurs à vif, par exemple, parvient à séduire Anita en la rejetant et en la rabaissant. Il la voit comme une jolie bourgeoise insipide. Mais il finit par tomber amoureux d’elle. Ce type de relation véhicule « l’idée que des comportements violents seraient le top dans une relation amoureuse : se faire plaquer contre un mur, embrasser par surprise, poursuit la spécialiste de l’égalité femmes-hommes. Ces personnages sont quasi systématiquement opposés à des "mecs gentils", souvent représentés un peu gros, avec des lunettes, pas sexy… Ça ancre l’idée que le mec "qu’il faut", c’est le toxique sexy ». Et justement, on se souvient que dans Hartley cœurs à vif Anita, qui s’est déjà séparée plusieurs fois de Drazic, finit par quitter Charly, gentil binoclard sans aspérités, pour se remettre avec lui.
Dawson Leery et Ross Geller sont un peu différents des quatre premiers. Ils cachent leur toxicité derrière l’image du mec parfait. Dawson est un ado égocentrique qui refuse de vivre dans monde réel, lui préférant le septième art. Geignard et intransigeant, il aime se positionner en victime mais derrière son masque de chouette type, il verse souvent dans la masculinité toxique. Il slut-shame [couvre de honte] Jen (Michelle Williams) lorsqu’il découvre qu’elle n’est plus vierge et a tendance à traiter Joey comme sa propriété tout le long de la série. Il se révèle bien loin du gentil garçon qu’il prétend être.
Derrière ses faux airs de gendre idéal, Ross s’avère être d’une jalousie maladive. Il se réfugie dans les bras d’une autre femme à la première occasion venue et ne supporte pas de voir Rachel entretenir une amitié avec un autre homme. « C’est comme si les relations entre des jeunes femmes et des jeunes hommes étaient forcément amoureuses et sexuelles et qu’il ne pouvait pas y avoir d’amitié. Dans les séries, il y a beaucoup de tensions sur la mise en couple. Comme si un garçon un peu gentil ne pouvait pas être juste le meilleur pote », note Alice Rahmoun, cofondatrice de 1001 Héroïnes.
Chuck Bass de Gossip Girl fait basculer l’image du bad boy dans un tout autre registre. On passe du mauvais garçon au comportement problématique au manipulateur narcissique qui excelle dans l’art de la torture psychique. Son histoire d’amour avec Blair Waldorf a tout d’une relation d’emprise : il la rabaisse, la traite comme un objet qu’il pourrait troquer à son oncle, il refuse de lui avouer ses sentiments… Lorsqu’ils se mettent finalement en couple, ils mettent en place des jeux malsains pour garder la passion intacte. Sans oublier, qu’il tente de violer Jenny, préadolescente, et agresse Serena qui refuse ses avances. Tout cela sans le moindre état d’âme et sans aucune conséquence. Chuck Bass est un prédateur qui multiplie les comportements pénalement répréhensibles (agressions sexuelles, tentatives de viol, manipulation) et ce n’est quasiment pas questionné par la série.
Nate est le mâle alpha par excellence. Il est aussi grand et beau que violent et misogyne. Sa relation avec Maddy est brutale. Il traite l’adolescente comme sa propriété, se laisse envahir par la jalousie alors qu’il n’a aucun mal à aller voir ailleurs. Mais la différence entre Euphoria et Gossip Girl, c’est qu’il n’est pas glamourisé. Nate n’est jamais sauvé par l’intrigue de la série, sa violence est brute et sans excuse. La vague #metoo est passée par là.
Adam Groff de Sex Education est ultra-violent, surtout avec Eric qui, à la différence de lui, assume complètement son homosexualité. Il refoule son attirance pour les garçons en surjouant sa masculinité. « On continue de voir des héros toxiques dans des séries très actuelles, y compris dans des séries qui se disent féministes, ce qui est encore plus insidieux. Dans Sex Education, le personnage d’Adam a un premier rapport sexuel avec Eric hyper violent mais normalisé, rendu sexy », observe Eléonore Stévenin Morguet.
Plus récemment, deux psychopathes ont fait leur entrée dans le monde des séries. Joe, le libraire stalkeur et tueur en série de You, qui traque ses proies et assassine sans éprouver le moindre remord. S’il est présenté comme un monstre, la série cherche toutefois des excuses à son antihéros dans un passé douloureux. Résultat : Joe fait l’objet d’une idolâtrie un peu surprenante au point que le comédien a lui-même pris la parole pour souligner la monstruosité de son personnage sur les réseaux sociaux.
Tyler Galpin est l’archétype du manipulateur. Il joue les garçons inoffensifs et sensibles pour cacher son visage monstrueux. Dans Mercredi, il est le premier coup de cœur de l’adolescente qui finit par découvrir son double visage. Une créature meurtrière (le hyde) sommeille en lui et le pousse à tuer. A la différence du libraire psychopathe de You, Tyler n’est pas mis en valeur par la série. Ça avance…