Les monologues des filles

Les monologues des filles

causons pour la cause
Charlotte pudlowski

Charlotte pudlowski

En seize ans, elle a fait faire au mot « vagin » le tour du monde. Plutôt facile à Paris ou à New York. Plutôt ardu dans d'autres coins du monde. En publiant ses désormais célébrissimes Monologues du vagin, traduit dans une cinquante de langues et joué dans cent trente pays. Elle inspira même une version musulmane intitulée Les Monologues voilés, signée de l'artiste hollandaise Adelheid Roosen. Elle, c'est Eve Ensler, Américaine, instigatrice du V-Day (mouvement contre la violence faite aux femmes), elle a renoncé aux droits d'auteur de son texte, au profit d'associations. Et expose au grand public la condition féminine. « Beaucoup de choses ont changé en deux décennies, explique Eve Ensler rencontrée par 20 Minutes. Tous les jours, on voit de nouvelles personnes capables de dire le mot « vagin », ce n'est plus tabou. Des femmes se sentent autorisées à parler de leur sexualité, autorisées à ne pas rester dans l'ombre des hommes. Parmi les activistes de V-Day, nombreuses sont celles qui deviennent des leaders… » Mais tout aussi nombreuses sont « celles qui pensent que c'est le rôle de la femme de plaire, donc de se soumettre aux exigences. Tant que ce sera le cas, nous ne serons pas libres. Nous vivrons toujours en patriarchie. »

« J'aime être une fille »
Alors Eve Ensler recommence et publie de nouveaux monologues : Je suis une créature émotionnelle (Editions 10/18). Le recueil de textes s'adresse aux jeunes femmes, aux adolescentes, pour leur apprendre à être ce qu'elles veulent. Ces monologues imaginent les vies de victimes d'excision, de violences conjugales ou de simples vexations, comme pour autoriser à en parler. Et pour s'autoriser, aussi, à aimer être une fille. « On voudrait apprendre aux filles d'aujourd'hui à ne pas être trop incandescentes, à rester à leur petite place, juge Eve Ensler. On voudrait leur dire que la seule chose valable, c'est d'avoir un pénis ». D'où l'ouverture du livre sur cette phrase : « J'aime être une fille. » Parce que, encore aujourd'hui, « être une fille est parfois une insulte ». De fait, on entend rarement de méprisants « t'es qu'un garçon », dans les cours de récréation. Alors que le « t'es qu'une fille » est l'équivalent d'une insulte. « Les garçons craignent parfois qu'on les traite de filles. Cela doit être drôlement puissant, d'être une fille, une femme, pour que cela effraie à ce point. »
Trouver sa voix forte
Pour elle, lorsqu'elles sont encore enfants, les filles bouillonnent de mille envies et le monde leur intime de se conformer à l'ordre établi, « de mettre de côté leur sexualité et de baisser la voix ». Alors sur scène, de Johannesburg à New York, on voit de jeunes femmes réciter les monologues tout haut, à voix fortes. Pas de chuchotements, de la prise de parole claire, puissante. Loin de penser que « le théâtre est l'art le plus révolutionnaire qui soit. ça se passe sous vos yeux, au présent. Et évolue en fonction du public. Surtout pas un art obsolète, à délaisser pour véhiculer ses messages via YouTube. »