Beatriz Preciado: «Le lapin de Playboy c'est un peu devenu Hello Kitty»
INTERVIEW•«Playboy», une revue à playmates dépliables? C'est bien plus encore. Beatriz Preciado a enquêté sur l'entreprise fondée en 1953 par Hugh Hefner...Propos recueillis par Alice Coffin
Hugh Hefner s’est servi de Playboy pour inventer un nouveau modèle pour l’homme américain. Terminé le pavillon de banlieue, vive la penthouse de célibataire bien entouré en ville. A sa manière, Hefner a lutté contre la morale sexuelle en vigueur dans les années 50. Beatriz Preciado, philosophe et activiste queer, le raconte dans «Pornotopie. Playboy et l’invention de la sexualité multimédia», publié aux éditions Climats et lauréat du prix Sade de l’essai 2011.
Pourquoi avoir enquête sur Playboy?
J’ai habité aux Etats-Unis. Une nuit j’étais devant ma télé et il y avait un documentaire sur Playboy. J’ai été très étonnée de voir le fondateur Hugh Hefner, dans son manoir, en peignoir et chaussons en train de parler de l’empire Playboy et d’expliquer qu’il s’agissait d’une reconquête de la domesticité pour les hommes!
C’est sûr que ce n’est pas trop l’image qu’on se fait de Playboy!
Et pourtant… Playboy est né dans les années 50. Une époque où aux Etats-Unis on fait tout pour bien séparer la sphère privée, domestique, et la sphère publique, du travail. Cela se matérialise par l’essor du pavillon familial de banlieue, alors que les villes sont désertées. Hefner, lui, dit aux hommes: prenez un appartement de célibataire en ville. Il en fait la promotion dans Playboy qui est aussi une revue d’architecture!
En quoi cela vous intéressait-il?
Il y a beaucoup d’ouvrage qui travaillent sur la féminité. Pour expliquer que c’est une construction. Que cela n’a rien de naturel. Moi je voulais faire pareil pour la masculinité et l’hétérosexualité. Expliquer que ces normes n’ont rien de naturel, qu’elles changent selon les époques. Hugh Hefner était un bon exemple. Quand vous le voyez au milieu de vingt playmates déguisées en lapines, on est assez loin de la nature, non?
Comment avez-vous enquêté?
On se fait très mal voir lorsqu’on arrive dans une bibliothèque et qu’on demande 60 numéros de Playboy! C’est une galère terrible de travailler sur la pornographie. Il faut aussi s’adresser aux amis d’amis qui ont une collection chez eux. Je suis aussi allée travailler à Playboy, à Los Angeles, où il y a un fond d’archives.
Vous avez été bien reçue?
Au début Hugh Hefner était enchanté. Mais travailler sur Playboy c’est comme travailler sur Mac Donald. C’est une grande entreprise donc la surveillance est extraordinaire. Les avocats savent très bien ce que vous faites, ils contrôlent énormément. Par exemple, ils ne voulaient pas que je parle de pornographie mais d’art concernant Playboy…
Où en est l’entreprise?
Elle tire désormais la majeure partie de ses revenus des produits dérivés. Les acheteuses sont d’ailleurs surtout des femmes. Le lapin de Playboy c’est un peu devenu Hello Kitty