Le papa d'un gros chat qui a du chien

Le papa d'un gros chat qui a du chien

portrait
Laurent Bainier

Laurent Bainier

Dans le registre qui recense tous les invités de 20 Minutes, il laisse pour nom M. CHAT. « Histoire de ne pas laisser de traces », justifie-t-il. Des traces, Thoma Vuille en laisse pourtant des moins discrètes sur les murs de toutes les mégalopoles du monde. Ses chats jaunes au sourire étincelant et aux ailes atrophiées sont entrés dans l'inconscient collectif. « A Nantes, on pense qu'ils sont nantais, à Paris, qu'ils sont parisiens. J'ai même eu des visiteurs américains qui m'ont dit : “Ah, c'est le chat new-yorkais”. »

La nuit, tous les chats sont jaunes
L'histoire de M. CHAT commence pourtant en France, à Orléans, en 1997. Thoma Vuille, aujourd'hui 33 ans, y graffe depuis qu'il en a 15. « C'était ma manière de poursuivre la quête mystique de mon grand-père qui était officier de l'Armée du Salut et de rendre hommage à mon autre grand-père, peintre en bâtiment. » Très vite, le peintre cherche un motif simple qui pourrait remplacer son blaze sur les murs de la ville. « Le grafitti valo­rise l'ego. Tu poses ton nom partout, dans toutes les rues, pour dire “c'est moi, j'existe, je suis là”. Je voulais autre chose, un truc qui me ressemble. »
Une jeune Pakistanaise d'un atelier de dessin qu'il anime dans une école lui offre un motif. « C'était une des filles qui avait le plus de difficulté. Pourtant en trois traits, elle avait réussi un dessin complet : son chat ressemblait à un âne, mais il était très expressif. » Avec un de ses potes, Thoma reproduit à l'identique le félin. Puis continue seul, l'arrondit, l'affine peu à peu. « Il est devenu une sorte de logo,

avec moustache mais sans aile ni nom... »
Le nom, ses premiers fans le choisiront. Il deviendra Mister CHAT, simplement. Ses ailes, elles, lui pousseront à Paris. « En 2000, je suis parti là-bas. Je voulais conquérir les rues de la capitale. » En fait de rue, ce sont les toits qui vont gagner son cœur. « Regarde Paname, dit-il en embrassant l'horizon dégagé qui s'offre à nous depuis le bureau où se déroule l'interview. Regarde les toits. Ils sont tous plats. C'est la frontière entre la ville, le monde des hommes, et autre chose.
Quelque chose de supérieur. » Happé par les toits et frappé par la guerre en Irak, M. CHAT devient une chimère. « Pour dire non à la guerre, j'en fait l'enfant d'un chat et d'une colombe. »
Ainsi outillé, M. CHAT peut s'envoler vers de plus hautes destinées. En 2004, il fait une rencontre qui transforme sa vie : Guillaume-en-Egypte, le chat décédé du cinéaste Chris Marker. « Quand il m'a dit que son chat disparu avait rencontré le mien et qu'il allait en faire un film, je ne l'ai pas pris au sérieux. Je ne savais pas qui il était et ce qu'il représentait pour les cinéphiles. » De cette rencontre naît Chats perchés, un docu dont le félin jaune est la vedette. Le minet ailé conquiert alors les étoiles. Peint en grand sur la Piazza Beaubourg, invité au festival de TriBeCa, exposé dans les plus grandes galeries du monde... « Au début, quand tu te retrouves, toi qui gagnes le RMI, à discuter en soirée avec John Malkovich, tu ne comprends pas trop ce qui t'arrive. Tu réagis mal. Ensuite, seulement, tu comprends que c'est une superbe opportunité. »
Star, M. CHAT n'a jamais été aussi près de sa mort. « J'ai envie de le crever », repète Thoma. « Quand tu fais ­tou­jours la même chose, même très bien, tu es un artisan. C'est génial d'être un artisan, mais il y en a déjà eu un dans la famille. C'était mon grand-père. Moi je dois devenir un artiste, alors il faut que je passe à autre chose. » « C'est déjà le cas, non ? », lui lance-t-on. Fuyant la caresse, Thoma bat en retraite et fait le gros dos. Déjà, il s'est enfui vers d'autres gouttières. Les chats ne font pas des chiens.