« Ecrire un jeu c’est avant tout raconter une histoire », explique Antoine Bauza
Jeux en société (2/5)•Antoine Bauza est un des créateurs de jeux les plus reconnus. A son actif, la saga « 7 Wonders »Propos recueillis par Benjamin Chapon
L'essentiel
- Le Festival international des jeux se tient à Cannes de vendredi à dimanche dans un contexte de succès populaire croissant pour le secteur du jeu de société.
- A cette occasion, 20 Minutes consacre une série d’articles sur le monde du jeu et les questions qui l’animent.
- Aujourd’hui, nous allons à la rencontre d’Antoine Bauza, père de la saga à succès 7 Wonders, et de nombreux autres jeux.
Il est l’auteur du jeu le plus primé au monde. Antoine Bauza, papa de la saga 7 Wonders (décliné en extensions, version Duel et Architects…) est un habitué du Festival International des jeux à Cannes. Créateur de dizaines de jeux, il a accepté de répondre aux questions de 20 Minutes sur son actualité et sa perception du métier d’auteur de jeux alors qu’il terminait sa valise pour Cannes.
A quelques jours du départ, qu’emportez-vous dans votre valise ?
Des jeux bien sûr. Cannes, c’est surtout un lieu de travail où les auteurs présentent leurs jeux.
Oui mais vous, vous n’avez plus trop besoin de Cannes pour rencontrer des éditeurs…
C’est vrai, j’y vais surtout pour voir des amis, pour l’ambiance. Auteur de jeux peut être un métier un peu solitaire donc Cannes est l’occasion de voir du monde, des gens de notre univers.
Envisagez-vous de pouvoir rater cet événement ?
Difficilement (rires). C’est un rendez-vous immanquable pour moi depuis longtemps. C’est presque le salon où j’ai signé mes premiers jeux, sur une petite table au bistrot de Cannes, en 2008. Chaque année je me dis « ça va être plus calme… », et puis finalement c’est la folie des rendez-vous.
Retourner à Cannes, est-ce un moyen pour vous de mesurer le chemin parcouru ?
C’est notamment à Cannes que mon jeu 7 Wonders a eu un prix. Et ce jeu a pas mal changé ma vie puisqu’il m’a permis de devenir auteur de jeux à plein temps. Avant, j’étais aussi instituteur. Donc oui, Cannes est un événement fort pour moi.
Vous disiez qu’auteur de jeu était un travail solitaire. Est-ce pour cela que vous avez créé un studio de création avec des amis auteurs ?
Le studio Kaedama, c’est une équipe de quatre auteurs, mais qui ne se substitue pas à mon travail d’auteur. Ensemble, on fait des jeux de commande, des jeux de licence, du développement, du consulting… J’ai vite tendance à m’ennuyer alors j’ai aussi lancé une maison d’édition de jeux. On travaille sur le premier qui sortira l’an prochain à Cannes. Avec tout ça, j’ai réduit mes projets perso à un par an, à mon rythme.
On se figure le travail de création comme quelque chose de très solitaire. Mais la création d’un jeu ressemble-t-elle à celle d’un roman, avec un auteur face à lui-même, ou à celle d’un film, avec toute une équipe ?
Un peu des deux. Il y a une phase solitaire d’écriture du jeu. Mais très vite, il faut rassembler des copains autour d’une table pour tester le prototype. Un jeu, c’est de l’interaction. Il faut se prendre le bec avec d’autres personnes, ça fait partie de la démarche créative ! Et ensuite, il y a le travail avec l’éditeur. Moi, quand j’étais plus jeune, j’ai d’abord voulu écrire des BD. Mais c’était trop solitaire alors j’ai bifurqué vers le jeu vidéo, pour ne pas rester seul dans mon coin. Puis j’ai remarqué que les scénaristes de jeux vidéo, il y en avait peu et que ces quelques vieux grognards gardaient jalousement leur place. Alors je me suis orienté vers le jeu de société.
Qu’est-ce que le succès, de « 7 Wonders » puis d’autres jeux, a changé dans votre démarche créative ?
Déjà je suis auteur à plein temps, ce qui est assez rare. J’ai donc plus de temps pour créer. Et puis le succès ouvre les portes des éditeurs. Ils me connaissent déjà. Là aussi, ça fait gagner du temps. Le succès de ce jeu a fait que ma trajectoire de vie a été complètement différente.
Vous dites que vous allez faire moins de jeux dorénavant. Est-ce aussi une manière de répondre à l’explosion du nombre de nouveaux jeux ?
Non, c’est une démarche personnelle. Mais c’est vrai que le monde du jeu a explosé. Il y a plein d’éditeurs que je ne connais pas, et plein d’auteurs dont je n’ai jamais entendu parler. A une époque c’était possible de jouer à tous les jeux francophones sortis sur une année, aujourd’hui c’est impossible. Il y a des points d’évolution positifs là-dedans, la diversité notamment. Il y a très peu d’autrices de jeux, et ça, ça progresse doucement.
Il y a une autre évolution dans le monde du jeu avec l’arrivée de nouveaux joueurs : les jeux doivent être plus courts et plus faciles.
Oui je l’ai constaté avec 7 Wonders. Quand il est sorti, le milieu qui était constitué surtout de gros joueurs le trouvait plutôt facile. Aujourd’hui, il est considéré comme difficile. J’ai entendu beaucoup de gens me dirent qu’ils avaient commencé le jeu avec 7 Wonders. C’est pour ça que j’ai fait la version Architects, plus abordable et plus courte. Un de mes objectifs d’auteur c’est de faire jouer les gens qui ne jouent pas, d’amener des nouvelles personnes à la table de jeu.
Vous n’aimez pas les jeux experts ?
En tant que joueur, si. J’aime bien jouer aux gros et longs jeux. Mais je n’en ai jamais fait. Il y a forcément une histoire de zone de confort… J’ai une vieille idée de jeu expert mais je n’ai jamais franchi le stade d’en faire un prototype. Et on ne me le réclame pas donc…
En tant qu’auteur reconnu, pensez-vous avoir une signature, un style de jeu qui permette de dire « là, c’est sûr, je joue à un Bauza » ?
Je ne suis pas sûr d’être l’auteur le plus facilement identifiable. En tout cas, je n’espère pas, je serai peut-être déçu d’entendre ça… Je fais en sorte de me renouveler, de ne jamais refaire le même jeu. Depuis un moment, j’en fais moins pour ne pas me lasser, mais aussi pour ne pas risquer de refaire un jeu que j’ai déjà fait.
Même avec « 7 Wonders » ?
Depuis 2009 je travaille tout le temps sur 7 Wonders avec des extensions, la version Duel, et maintenant la version Architects. Mais c’est vrai que c’est plus excitant de faire un nouveau projet. Mais même avec 7 Wonders, je ne fais jamais une extension parce que l’éditeur me le demande.
Laissez-vous, comme de nombreux auteurs, vos éditeurs choisir les thèmes de vos jeux ?
Ha non, jamais. Chez moi, le thème d’un jeu arrive très vite, au tout début, et normalement il ne change pas. Ecrire un jeu, trouver des mécaniques, c’est avant tout raconter une histoire. Il y a effectivement une majorité d’auteurs qui s’intéressent uniquement à la mécanique, sans doute parce qu’ils ont une formation scientifique. Moi je voulais raconter des histoires. Je suis très attaché à ce que la mécanique et le thème de mes jeux soient imbriqués. Les gens ne retiennent pas les règles, ils retiennent les histoires.
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