INTERVIEW« Les gens ont oublié que l’an dernier, on faisait les Victoires masqués »

Victoires de la musique : « Chacun a sa propre vision de la diversité », confie Stéphane Espinosa

INTERVIEWLe président des Victoires de la musique, Stéphane Espinosa, revient sur l’importance de la cérémonie 2023 qui se tient ce vendredi soir
Benjamin Chapon

Propos recueillis par Benjamin Chapon

L'essentiel

  • Les 38e Victoires de la musique se tiennet vendredi soir, sur France 2, en direct de La Seine musicale.
  • Le président des Victoires, Stéphane Espinosa, estiment que la cérémonie a une importance capitale pour l’émergence de nouveaux talents.
  • Il revient pour 20 Minutes sur les innovations qu’il a apporté à l’organisation des Victoires et sur les polémiques qui touchent la cérémonie.

En avant la musique, vraiment ? Vendredi soir, sur France 2 et en direct de la Seine musicale, se déroulent les Victoires de la musique. Mais après trois ans de crise du Covid, le monde de la musique est encore en convalescence. Et la cérémonie qui célèbre les artistes, émergents ou installés, est aussi secouée de polémiques. Pas assez de femmes parmi les Victoires d’honneur, une place famélique laissée au rap, une émission déconnectée des nouveaux usages…

Alors qu’il termine son mandat de trois ans à la présidence des Victoires, Stéphane Espinosa veut croire en l’importance cruciale de cette cérémonie. Pour 20 Minutes, il analyse les répercussions sur le monde de la musique de trois ans de crise sanitaire, et sur la manière de faire émerger de nouveaux talents.


Que représentent les Victoires dans le paysage de la musique actuelle en France en 2023, selon vous ?

Je pense que les Victoires sont toujours aussi importantes, peut-être même plus qu’avant. C’est beaucoup de choses, les Victoires. Une photographie de la musique actuelle, une cérémonie de remises de prix, mais surtout, c’est un grand concert live en prime time à la télévision. Et ça, ça rend les Victoires uniques.

Les Victoires ont-elles une mission de service public selon vous ?

Sans aucun doute. Surtout pour les artistes nommés aux Révélations. Pour nombre d’entre eux, c’est leur premier passage à la télé, et souvent, un passage aux Victoires est un accélérateur de carrière, une manière de se faire remarquer de nouveaux publics, de passer à une dimension supérieure. Je suis quand même assez content des nommés aux Révélations de cette année parce que tous les genres sont représentés : électro, chanson, rap… Il y a des chanteurs et des chanteuses en anglais et en français. Il y a vraiment un spectre assez large. J’espère que c’est le signe que les mesures que l’on a mises en place sont efficaces.

Quelles mesures ?

On a travaillé sur le conseil des votants, pour plus de diversité. Il y a eu un renouvellement de 50 % des votants, et un système du multivote. Les votants ne font plus un seul choix mais établissent un trio. Je pense que cela permet d’exposer une plus grande diversité d’artistes.

Quand même, avec Stromae, Angèle et Orel San parmi les plus nommés cette année, on a un peu l’impression d’assister à la même cérémonie que l’an dernier.

Il y a des cycles. Certains artistes que l’on disait abonnés aux Victoires, comme M ou Benjamin Biolay, ne sont pas là. Il y a un renouvellement. Mais la présence de Stromae, Angèle et Orel San deux ans d’affilée montre aussi que le marché a changé. Aujourd’hui, l’exploitation des albums peut être très longue. Avec le Covid, des tournées ont été reculées, les albums ont été travaillés plus longtemps. On a parfois de nouveaux albums d’artistes qui sortent alors que la tournée du précédent est à peine finie.

Pensez-vous qu’il s’agisse d’une nouvelle norme ?

Je ne sais pas. Qui peut le savoir ? On parle d’un retour à la normale mais les gens oublient que l’an dernier encore, on était masqué pour la cérémonie… Le public revient au concert, c’est vrai. Mais pas tous les concerts. Il faudrait en parler avec des tourneurs mais j’ai le sentiment que les choses ont beaucoup évolué. Certains artistes avec des communautés de fans pas très grosses mais très actives, arrivent à remplir des salles très vite. Pour d’autres, c’est plus dur… Dans ce contexte où la scène est plus que jamais fondamentale, les Victoires jouent leur rôle.

L’an dernier, sur scène, SCH faisait un discours pour dénoncer l’absence des artistes rap qui ont pourtant une audience très large. Ninho se plaignait de ne pas être nommé. Cette année il recevra la Victoire de l’album le plus streamé… Le rap a-t-il sa place aux Victoires ?

Bien sûr. La critique de SCH était légitime et compréhensible, et elle a eu un impact sur notre réflexion. Nous voulons que cette cérémonie soit le miroir de la création en France. Moi, je suis producteur et je sais que la proportion d’artistes rap que nous produisons est très importante. Les choses évoluent aussi aux Victoires et pour certains, ce n’est pas suffisant. Chacun a sa vision de la diversité selon ses goûts musicaux…

Il y a un autre manque dans le palmarès. Depuis sa création en 1985, le titre de président d’honneur, cette année tenu par Calogero, n’a jamais incombé à une femme. Et parmi les 26 Victoires d’honneur, cette année remise à Serge Lama, il n’y en a eu que quatre pour des femmes.

On a essayé d’avoir une présidente d’honneur, il y a eu des tentatives mais jusqu’à maintenant, ça n’a pas fonctionné. J’espère que la personne qui me succédera y arrivera. Je pense que ce titre est important, il permet de mettre en avant des artistes qui ont marqué la musique en France et qui ont envie de transmettre quelque chose.

Une cérémonie concurrente, Les Flammes, a été lancée et se tiendra en avril. Avec une plus grande place laissée aux femmes, au rap, et aux plateformes de streaming… Vous pensez que c’est une bonne chose ?

Sans aucun doute. A une époque il y a eu le prix Constantin, il y a aussi le prix Joséphine. C’est une émulation. Les Flammes essayent quelque chose de nouveau, c’est bien. Il faut des cérémonies en phase avec le monde de la musique tel qu’il est aujourd’hui. Par exemple, avec le Covid, il y a eu une accélération vers une plus grande digitalisation, comme pour la vie de tous les jours d’ailleurs. Nos manières d’écouter de la musique ont évolué, la façon de découvrir des artistes aussi, les habitudes de concert également. Il y a par exemple toute une nouvelle génération, qui a eu entre 18 et 20 ans pendant le Covid, et qui aujourd’hui a la dalle de concerts et de découvertes. C’est quand même une bonne nouvelle !