INTERVIEW« Les animaux n’ont plus de place dans le cirque contemporain »

Marseille : « Les animaux n’ont plus de place dans le cirque contemporain » selon la codirectrice de la Biac

INTERVIEWA la veille de l’ouverture de la biennale internationale des arts du cirque (Biac) à Marseille et ses environs, sa codirectrice Raquel Rache de Andrade dessine l’avenir de cet art en pleine mutation
Mathilde Ceilles

Propos recueillis par Mathilde Ceilles

L'essentiel

  • La biennale internationale des arts du cirque s’ouvre ce jeudi en région Paca.
  • Une édition qui se veut représentative du cirque d’aujourd’hui et de demain, avec notamment une artiste femme à l’honneur dans un milieu très masculin.
  • Selon la codirectrice de l’événement, le cirque du XIXe sera un cirque sans animaux sauvages, plus vert et plus divers, à l’image de la société actuelle.

Depuis des années, c’est la même rengaine, immuable, la même image qui s’est inscrite comme figée dans les mémoires. Une voix nasillarde crachée par les haut-parleurs annonce l’installation sur le parking d’un supermarché ou près d’un terrain vague d’un chapiteau rouge et jaune fourmillant d’acrobates, de clowns et de lions rugissants. Une image du cirque bien réductrice, à en croire Raquel Rache de Andrade. Alors que s’ouvre, ce jeudi, la biennale internationale des arts du cirque (Biac) de Marseille, la codirectrice de l’événement revient pour 20 Minutes sur sa vision du cirque du XIXe siècle, loin des clichés et des conventions.



Diriez-vous que l’image du cirque d’aujourd’hui correspond-elle à la réalité ?

Non, il existe un autre cirque. Le cirque contemporain a quarante ans. C’est une durée de vie très jeune. Et il s’agit d’une autre image qui correspond plus à des spectacles qui amènent des propos, une dramaturgie. C’est là l’avenir du cirque : un cirque qui veut approfondir toutes les questions qui se posent et qu’ils posent au monde, et aux spectateurs. Le cirque aujourd’hui n’est pas seulement là pour divertir. Il est aussi là pour interpeller. On retrouve des spectacles qui mélangent philosophie et cirque par exemple. Aussi, aujourd’hui, quand on va voir du cirque contemporain, on ne sait pas ce qu’on va voir. On n’a pas un enchaînement de numéros comme dans l’image d’Epinal qu’on peut avoir du cirque. On sort du spectacle avec des questions sur lesquelles réfléchir.

Comment expliquer ce changement récent ?

Je l’explique par les écoles de cirque qui, il y a une quarantaine d’années, se sont ouvertes au public, et plus seulement aux familles du cirque. Il y a eu un rencontre avec la société dans un monde très fermé, en soi. Avec les années, il y a eu un brassage dans la formation des circassiens. On a constaté des mélanges avec le théâtre, la danse, les numériques, les arts visuels, tous les arts plastiques.

Quelle place les animaux ont-ils dans ce cirque du futur ?

Les animaux n’ont plus de place dans le cirque contemporain. Laissons les animaux sauvages dans leurs terrains sauvages. Il subsiste surtout le travail avec des animaux domestiques. Le cheval reste encore un lien fort. Des fois, il y a un ou deux chiens, des poules, un porc ou un cochon. C’est surtout pour illustrer le propos. Et ces animaux peuvent être sur la scène avec l’homme, mais avec une approche totalement différente aujourd’hui. Ce n’est pas : « Je dompte l’animal ». C’est : « Je partage la scène avec lui ». Il y a un lien affectif. Ça montre en définitive notre vie de tous les jours. De même, il y aura des cirques futurs avec des chapiteaux différents, peut-être végétalisés.

Pourquoi ?

Il va falloir que le cirque évolue par rapport à la problématique de l’énergie. Nous devons proposer des idées. L’art et la culture peuvent être vecteurs de transformations et de sensibilisation sur la question du réchauffement climatique. On est en train de travailler sur des possibilités. Il y a déjà eu des essais, qui sont de réussites, d’installer des chapiteaux avec une double toile. Comme ça, le chapiteau garde plus longtemps la chaleur ou la fraîcheur, et le cirque dépense moins d’énergie.

En quoi cette nouvelle édition de la biennale illustre-t-elle votre vision du cirque de demain ?

C’est la première édition où l’on met une artiste femme à l’honneur. Il y a une vraie question sur cette place des femmes dans le cirque contemporain. C’est un milieu très masculin. Encore aujourd’hui, seuls 30 % des spectacles sont menés par des femmes. Il y a quelque chose que j’ai moi-même vécu en tant qu’artiste de cirque. Quand on a un enfant, il est facile de vivre l’itinérance. Après le deuxième, comment faire pour répéter, tourner et scolariser ? C’est facile jusqu’à la primaire. Mais quand on arrive au collège, ça devient très complexe. Aussi, à partir du deuxième enfant, beaucoup de mes collègues arrêtaient le cirque. Avoir une vie de famille, répéter six heures par jour et se faire très mal, à un moment donné, ce n’est plus possible. Du coup, beaucoup de ces collègues se sacrifient et changent de métier. Durant la Biac est d’ailleurs organisée une table ronde sur la maternité pour sortir de cette zone de silence et qu’on peut aller de l’avant.