20 MiNUTES AVEC« Le patriarcat est aussi mauvais pour les hommes », assure Andréa Bescond

« On me reproche de dénoncer mais je ne fais qu’informer », confie Andréa Bescond

20 MiNUTES AVECAlors que paraît « Une simple histoire de famille », son premier roman, Andréa Bescond revient sur son combat contre les violences faites aux femmes et aux enfants
Caroline Vié

Caroline Vié

L'essentiel

  • Tous les vendredis, 20 Minutes propose à une personnalité de se livrer sur son actualité dans son rendez-vous « 20 Minutes avec ».
  • Dans son excellent roman Une simple histoire de famille, à paraître le 4 janvier chez Albin Michel, Andréa Bescond suit la vie de deux femmes et d’un homme au fil des années, entre secrets, non-dits et violence.
  • L’artiste militante offre une œuvre violente et lumineuse qui fait écho à son combat contre les violences que subissent les femmes et les enfants.

Andréa Bescond est une femme en colère qui a fait de la lutte contre les violences contre les femmes et les enfants son cheval de bataille. Dans son « seule en scène » Les Chatouilles ou la danse de la colère, qu’elle a porté à l’écran en 2017 en collaboration avec Eric Metayer, la jeune femme évoquait son viol par un pédophile ami de ses parents. Son premier roman Une simple histoire de famille, paru chez Albin Michel le 4 janvier, suit trois personnages - deux femmes et un homme – au fil des années, entre secrets, non-dits et violence. On retrouve les thèmes de prédilection d’Andréa Bescond dans cette fiction si vivante et si passionnante qu’elle se dévore d’une traite. Alors que l'actrice, danseuse et réalisatrice française envisage déjà de porter le livre à l’écran tout en peaufinant son prochain long métrage Quand tu seras grand, prévu le 26 avril, 20 Minutes fait le point avec le combat qu’elle relaie via son compte Instagram.

Pourquoi avoir choisi la forme d’un roman pour raconter cette histoire de famille ?

Ecrire un livre faisait partie de mes projets de vie et mon éditrice Caroline Masson m’a encouragée à le concrétiser. Je me suis inspirée de l’histoire de mon arrière-grand-mère qui a tué son mari violent d’un coup de bûche dans la tronche et qui a passé une partie de sa vie internée. Et plus généralement de cette soumission à la violence dont souffrent les femmes, mais aussi les hommes, face aux modèles qu’on leur impose. Mais j’avais aussi envie de donner de l’espoir : ce roman est un hymne au courage et à la vérité. Plutôt que de s’opposer les uns aux autres, ce que favorisent les politiques que cette division arrange, j’aimerais faire comprendre que le patriarcat est aussi mauvais pour les hommes que pour les femmes et les enfants. La réconciliation est non seulement possible mais souhaitable.

Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent d’être misandre ?

Ça me fait rire. On peut me voir ainsi parce que je dénonce les violences d’Etat et la violence masculine au travers de mon mur Instagram. Mais je me fiche que certains soient heurtés par ce que je poste sur Instagram. Le mouvement #MeToo ne date que de cinq ans. C’est peu par rapport aux cinq mille ans du patriarcat. Je sais que beaucoup d’hommes ont envie que les choses changent, de pouvoir vivre leur sensibilité, de vivre leurs émotions et qu’on arrête de leur dire : « Un homme ça ne pleure pas, ça doit être fort, ça doit ramener de l’argent, ça doit être viril ». La virilité se traduit autrement que par la violence. Cela devient un sketch de dire que ce sont des hommes hétéros de plus de 50 ans qui sont réfractaires aux changements mais c’est factuel. La première chose qu’ils font quand on signale des cas de violence ou d’inégalité est d’abord de se dédouaner ou de pointer les femmes du doigt. Ils devraient assumer le fait qu’ils ne veulent pas renoncer à leurs petits privilèges.

Pourquoi avez-vous abandonné l’idée de reprendre votre spectacle « Les Chatouilles » au théâtre ?

Le producteur Jean-Marc Dumontet refusait de me donner la même publicité qu’à Richard Berry dont il a distribué Plaidoiries. Il n’avait pas envie de dépenser d’argent pour moi depuis que je lui ai reproché d’avoir soutenu ce dernier, accusé d’inceste par sa fille. Comme il a bien vu que mon roman allait attirer de la publicité, il s’est dit qu’il pouvait faire des économies dans ce domaine. J’ai repris les droits de mon spectacle et la première chose qu’il a dite dans les médias est que je le désignais comme un archétype de l’homme blanc puissant. Quand je l’entends me dire au téléphone : « Tu ne me fais plus envie, tu n’es plus une artiste, tu t’es perdue dans ta lutte contre les violences sexuelles », j’estime qu’il en est l’archétype. J’ai fait une vidéo pour raconter cela et il en a été tout retourné car ce genre de choses n’arrivent pas dans son monde à lui. Il n’est pas habitué à ce qu’on lui tienne tête.

N’avait-il pas soutenu votre spectacle depuis le début en 2014 ?

Tant que j’étais la petite victime gentille, lisse, blonde qui copinait avec les ministres et Brigitte Macron, tout allait bien : j’étais sortable et finançable. Mais depuis que j’ai fait savoir que j’estime qu’on se fout de nous et que le gouvernement ne fait que de la démagogie sans mettre un rond sur la table, je suis devenue vachement moins intéressante. On me reproche de dénoncer alors que je fais qu’informer. Je suis cohérente dans ma façon d’agir. J’ai refusé d’aller sur CNews qui emploie Jean-Marc Morandini. Je n’irai pas, même s’il s’agit de vendre mon livre. Je ne peux pas dénoncer les défaillances de la justice que les femmes et les enfants subissent au quotidien et aller chez CNews. C’est une spécialité française d’avoir des mecs violents accusés de viol à des postes clefs.

Pensez-vous que cette indulgence explique qu’une exposition Bastien Vivès a pu être programmée au Festival de BD d’Angoulême ?

Le problème, ce n’est pas lui. Des mecs comme ça, il en existe de nombreux. Le souci vient du Festival d’Angoulême qui glorifie la parole violente et l’homme violent. J’en veux plus à Angoulême qu’à Bastien Vivès. Ils ne prennent pas la mesure du fléau. Les organisateurs auraient renoncé à l’exposition en raison de menaces des « wokistes ». Une fois de plus, on inverse la charge. Les coupables sont les personnes qui luttent pour un monde meilleur. Il a été harcelé mais il ne faut pas oublier qu’il a aussi harcelé une femme, ce qui n’est jamais souligné et permet de le présenter comme un artiste censuré, un pauvre petit chaton innocent. Les médias sont largement responsables de cela. J’étais fâchée contre la dessinatrice Coco qui parlait de « droit au mauvais goût » dans Charlie Hebdo. Bastien Vivès n’est pas Charlie. La grande différence est que Charlie Hebdo utilise la caricature pour dénoncer. Il n’y a rien de semblable dans l’œuvre de Bastien Vivès. Il met sur le papier tous ses fantasmes les plus dégueulasses ce qui permet à des pédocriminels de se branler dessus. Il ne faut pas tout confondre. Pour ma part, je suis Charlie à mort. Il faut rire de tout mais ce n’est pas ce que fait Bastien Vivès qui banalise la pédocriminalité et la pédopornographie.

La politique publique ne pourrait-elle pas lutter contre ces fléaux ?

Vous rigolez ? Ce n’est que de la démagogie ! Nous les victimes, nous sommes gentilles, intelligentes et patientes. On parle, on témoigne et on attend une politique publique qui va protéger nos enfants et elle ne vient pas. J’étais tellement en colère après que le gouvernement a enterré le mouvement MeToo inceste en ne pondant qu’une pauvre loi sans dégager le moindre budget pour lutter contre ce fléau… Le confinement a développé les violences familiales et Eric Dupont-Moretti fait le tour des médias en disant que tout va mieux, ce qui est faux. La France est le troisième hébergeur mondial de sites pédopornographiques. J’ai choisi la non-violence mais je ressens une violence intense en moi. Je pourrais tuer quelqu’un à mains nues. J’ai rêvé que je massacrais l’homme qui m’a violée quand j’étais petite, mais je ne suis jamais passée à l’acte. J’ai suivi une thérapie, j’ai travaillé sur moi et je n’ai jamais levé la main sur personne. La reconstruction est possible à condition de la souhaiter.

Ecrire vous a-t-il fait du bien ?

J’ai longtemps prôné la résilience mais je n’y crois plus. Je suis brisée de manière indélébile. Une fois que l’intégrité est bousillée, c’est irréparable. Je serai déshumanisée toute ma vie, mais j’ai eu la chance de naître artiste. Mon choix est d’offrir des outils à la société pour transformer l’horreur. Voir des gens aller mieux grâce à cela est important. Ma communauté Instagram est d’une bienveillance immense. L’amour qu’elle me donne me tient debout tout comme le soutien de mes enfants de 12 et 11 ans qui comprennent mon combat. Aujourd’hui, je ne peux pas dire que je me sens bien. Ma colère est immense. On me reproche de dénoncer mais je ne fais qu’informer. Il n’y a pas de fatalité. L’Etat ne fait rien et la politique d’Emmanuel Macron non plus. Cela ne s’arrangera que lorsqu’on arrivera à la convergence de toutes les luttes. Il faut le courage de regarder la vérité et de s’allier contre toutes les violences y compris la violence sociale qu’on va se prendre de front en 2023. Une poignée d’humains soumettent des gens plus nombreux. Tant qu’on ne se rendra pas compte qu’on a le pouvoir de s’insurger, on ne s’en sortira pas.