Du trafic de stup à l’opéra, la « bella storia » de Naestro
BELCANTO•Avant d’avoir connu la célébrité avec le titre « Bella ciao » et l’émission de M6 « La France a un incroyable talent » grâce à sa voix de ténor, Naestro a connu la prison, le trafic de stup et la violenceMathilde Ceilles
L'essentiel
- A 33 ans, Naestro a connu le succès, d’abord à la télévision, puis dans les charts, au côté de Gims, Vitaa et Dadju avec une reprise de Bella ciao.
- Mais avant cela, le chanteur d’opéra originaire de Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône) est passé par la case prison, notamment pour trafic de stupéfiants.
- C’est là qu’il a découvert son talent de chanteur, lui qui s’était plutôt illustré dans le passé sur les rings de boxe.
Tout a commencé par une gifle. Pas une petite, non. Le genre qui laisse longtemps une trace rouge sur la joue. Le genre qui fait germer une sombre rancœur dans le cerveau d’un adolescent. Cette gifle, le jeune Nabil l’a reçue à tout juste quinze ans, dans une salle de sport de Port-de-Bouc, dans les Bouches-du-Rhône. Un caïd des environs lui demande de lui céder sa place sur une machine. L’ado le prie de patienter. Et le voilà qui prend un coup.
Quand Nabil raconte la scène, ce jour-là, autour de lui, il n’y a plus les machines de la salle de muscu, la sueur, le brouhaha confus qui entourent les bagarres. Seulement l’ambiance feutrée d’un petit théâtre du centre de Marseille, désert, un après-midi de décembre, entouré de quelques membres de son équipe. Pourtant, assis sur un siège du théâtre, vêtu d’un survêtement blanc immaculé, il semble téléporté dans cet instant qui a fait basculer sa vie. « J’ai attrapé un poids pour lui mettre sur la tête. Un autre gars m’a attrapé par le bras. J’avais quinze ans. Je pesais 45 kg. J’étais dans les premiers de la classe. Qu’est-ce que je pouvais faire ? Je suis parti. Et je lui ai dit : "C’est simple, un jour, je vais grandir. Et je vais te retrouver." »
« Une boucherie »
Nabil rentre chez lui, garde le silence. Le lendemain, il demande à ses parents d’arrêter le karaté pour la boxe. « Quand je m’entraînais avec mes frères, dans ma boxe, il y avait trop de haine. Quand je boxais, je voyais le visage de celui qui m’avait giflé. J’aimais l’adrénaline que me procurait ce sport. Mais je perdais pas le nord. De cette gifle, j’en avais des flashs. »
A 18 ans, il passe au MMA, et devient le plus jeune titulaire de la discipline au sein de l’équipe de France. Peu de temps après, dans un centre commercial de Martigues, son chemin croise par hasard celui qui hante son esprit. « Ça a été une boucherie. » Après cette violente bagarre, le jeune homme écope d’un an de prison, au Pontet, dans le Vaucluse. Ses parents, d’origine modeste, refusent de venir le voir. Ses deux frères sont CRS et gendarme. Seul l’un d’eux vient au parloir. Nabil reste muré dans son silence auprès des siens. « Je n’ai pas parlé de la gifle à mon frère. J’ai juste dit que je l’avais croisé et que j’avais pété un câble. Peut-être j’avais honte d’avoir pris cette gifle. »
« Le magasin est ouvert »
En prison, Nabil apprend que celui à qui il voue une haine extrême est à la tête d’un réseau de trafic de stupéfiants. « Un détenu à la prison m’a proposé qu’on reprenne le réseau. Il m’a dit : "Moi, j’ai la poudre", sous-entendu les flingues, "Toi, t’as les poings". J’étais en prison. J’avais reçu une deuxième gifle. » L’ancien boxeur et son complice prennent la tête d’un premier réseau. « En prison, le casting est déjà fait, sourit-il. Tu as celui qui vend les armes, celui qui tue… Le magasin est ouvert. Il n’y a plus qu’à se servir. »
A sa sortie de prison, il en dirige un second. « Ce qui te fait continuer, c’est l’argent facile, explique-t-il, une montre dorée au poignet. Les soirées, les filles, les grosses voitures, les voyages, les restaurants… Tu te sens le maître du monde. Tu es dans une spirale où il y a des loups qui mordent, et où il te faut mordre le premier. » Nabil se fait arrêter au bout de quelques années. Retour au Pontet avec, cette fois, un codétenu italien. « Lui, il était là pour meurtre. » Un jour en promenade, Nabil veut appeler son codétenu, au loin. Plongé dans sa conversation, il n’entend rien. Alors, pour rire, Nabil chante O Sole mio avec une voix de stentor.
Pavarotti
« Je n’avais jamais écouté d’opéra, explique-t-il. Quand je tombais dessus à la télé, je zappais. Quand j’ai chanté dans la cour de promenade, j’ai eu l’impression de découvrir comment on planait. Quand il m’a entendu, le chef de détention est sorti et a demandé qui avait chanté. » Nabil s’attend à se faire enguirlander. Le chef de détention le convoque dans son bureau. Il est fan d’opéra et s’étonne du talent du détenu. Nabil reçoit en cadeau deux CD de Pavarotti. Et, à force de s’entraîner, de chanter sur la voix du célèbre ténor, Nabil devient Naestro. « Mon codétenu me traduisait les paroles, se souvient-il. Les autres détenus appelaient leurs femmes depuis leurs cellules, et je chantais à la fenêtre. Toute la prison m’entendait. »
Entre les quatre murs de la prison du Pontet, Naestro décide d’embrasser une carrière de chanteur d’opéra. « Je savais que c’était ça qui me permettrait de m’en sortir. » Dès sa sortie, Naestro se rend à l’opéra de Marseille, pour assister à son tout premier récital. « Quand je voyais les chanteurs sur scène, je me disais que je pouvais faire mieux », sourit-il. A la fin du concert, alors que le public applaudit, il décide de monter sur scène, provoquant les hurlements des artistes qui appellent la sécurité. « Je leur ai dit : "Non, n’appelez pas, j’ai découvert il y a quelques semaines que je chante !" »
« Bella ciao »
Avec le soutien du public, après quelques minutes de négociation, Naestro parvient à se produire sur cette scène, accompagné au piano par une artiste de l’opéra. « C’était absolument fou, se souvient-il. J’avais des frissons dans le dos. Je n’avais ressenti ça qu’en cavale. Le public s’est levé. A la fin, la personne au piano qui m’accompagnait pleurait. » Un des chanteurs qui se produisait ce soir-là prend Naestro sous son aile et lui donne des cours, gratuitement.
Quelques mois plus tard, Naestro est propulsé en finale de La France a un incroyable talent. Il enchaîne ensuite les plateaux de télévision, de Vendredi tout est permis à Touche pas à mon poste. Mais Naestro voit plus loin. Alors que la Casa de Papel connaît le succès qu’on connaît, Naestro a l’idée d’enregistrer une reprise de Bella ciao avec un des rappeurs en vogue en France. Il n’en connaît aucun. Quand il tente d’entrer en contact avec eux, tous refusent. Mais renoncer n’est pas dans le vocabulaire du chanteur d’opéra. « J’ai enregistré ma version, et un soir, à la sortie d’une boîte de nuit, je suis allé voir Gims, qui avait déjà refusé, explique-t-il. Je lui ai fait écouter la chanson sur une enceinte. Il a été convaincu. »
Dadju, Slimane et Vitaa viennent s’ajouter au projet. En 2018, Bella Ciao devient double disque diamant. Sans étonner Naestro. « Je le savais », confie-t-il. Et le succès continue d’auréoler le chemin du chanteur de Port-de-Bouc, puisque son dernier single, E lucevan le stelle, qui mêle l’air d’opéra qu’il avait entonné à Marseille à du rap, est numéro 1 en Italie. En quelques semaines, le clip a dépassé les deux millions de vues sur YouTube. Et du haut de ses 33 ans, l’artiste ne manque pas de projets, entre un livre autobiographique, une comédie musicale au Canada, et un one-man-show à Paris en mars prochain. « Si je devais revenir en arrière, peut-être que je n’aurais pas vendu de drogue, conclut Naestro. Mais je prendrais toujours la gifle. »