Quand les jeux de rôles permettent de rejouer au papa et à la maman
JET DE PARENTALITE•Les kits d’initiation aux jeux de rôles se vendent comme des petits pains. Conçus pour séduire les jeunes joueurs, ils permettent aussi des moments de complicité entre enfants et parentsBenjamin Chapon
L'essentiel
- Les jeux de rôles connaissent un fort retour en grâce, et les éditeurs cherchent à capter de nouveaux jeunes pratiquants avec des boîtes d’initiation aux règles simplifiées.
- Ce phénomène entraînent également des parents à se mettre ou se remettre aux jeux de rôle, avec leurs enfants.
- 20 Minutes a rencontré trois enfants, et leur parent rôliste, pour recueillir leurs témoignages.
«Pour son anniversaire, il voulait un C21. A la place, je lui ai offert un d20 ! » Un quoi à la place d’un quoi ? Le C21 est un smartphone relativement bon marché prisé des adolescents. Un d20 est un dé à 20 faces, emblématique des jeux de rôles comme Donjons & Dragons. L’autrice du bon mot est une maman de 49 ans, Bérengère. Ce d20, elle l’a offert à son fils, Cléo, pour ses 14 ans. Une manière de lui dire : ok, c’est parti, on se lance dans le jeu de rôle. « On » ? Oui, comme Cléo et Bérengère, de plus en plus de parents et enfants se mettent, ensemble, au jeu de rôle, qui est revenu au goût du jour en même temps que la fantasy ces dernières années. Les éditeurs accompagnent le mouvement en publiant des kits d’initiation de leurs jeux, des formules plus accessibles, aux règles simplifiées, et séduisantes. Que ce soit la boîte d’initiation de Donjons & Dragons, Les dragons de l’île aux tempêtes, l’inégalable Chroniques oubliées décliné en différents univers,ou des dizaines d’autres comme récemment un jeu de rôle dans l'univers Les Légendaires…
« Quand j’étais ado, mon frère jouait aux jeux de rôles avec ses copains et ça m’a toujours intrigué, attiré, raconte Bérengère. Mais je sentais qu’en tant que fille je ne serais pas la bienvenue, alors j’ai oublié. Quand j’ai entendu Cléo se bidonner devant des vidéos d’actual play, de l’émission Role’n’Play, ces souvenirs refoulés sont remontés à la surface. »
Jeux (vidéo) de rôle
Comme Cléo, des milliers de jeunes fans de jeux de rôle suivent ces parties filmées et retransmises, parfois en direct, sur différents réseaux sociaux. A mi-chemin entre le théâtre d’impro et le jeu de société, ces vidéos sont aussi le symbole d’un monde qui s’est ouvert au virtuel. Avec le confinement, des millions de joueurs à travers le monde ont fait le choix d’assouvir leur passion à travers des parties en ligne, rendues possibles par différentes plateformes.
Le succès de son programme Role’n Play a encouragé l’éditeur Black Book a sorti un jeu de rôle dédié, et son essentiel Kit d’initiation… Il faut dire que Black Book est l’experte des formats destinés aux jeunes joueurs grâce à son jeu, Chroniques oubliées, dont le succès a même conduit des chaînes d’hypermarché à le placer dans ses rayons…
Léo, 11 ans, tout jeune MJ (maître du jeu) de Donjons & Dragons doit ainsi à Chroniques oubliées d’avoir pu attirer trois joueurs à sa table parmi ses amis. « Certains y avaient joué, d’autres en avaient juste entendu parler. En tout cas, c’est devenu un peu la mode de faire du faux jeu de rôle dans la cour de l’école, de s’inventer des personnages. Quand j’ai voulu en faire un vrai, tout le monde connaissait déjà un peu. » Lisa, 8 ans, a elle « terminé » Chroniques oubliées, alors qu’elle venait d’entrer en CE1... « J’ai fait toute la campagne avec deux copines et deux copains. C’est mon père qui nous faisait jouer. A la récréation, on parlait tout le temps de ça, de nos aventures, les autres élèves étaient jaloux de ne pas comprendre. Et en janvier, après noël, ils l’avaient tous demandé en cadeau, c’est devenu la grosse mode. Tout le monde parlait de son personnage. »
Donjons & darons
Léo et Lisa ont en commun d’avoir été accompagné dans leurs premiers pas de rôlistes par leurs papas. Si Chroniques oubliées est suffisamment bien pensé et attrayant pour être joué par des enfants seuls, Bruno, 46 ans, a voulu jouer avec Lisa. « J’ai un fils qui a 16 ans et que j’ai dégoûté du jeu de rôle en le poussant trop. C’est ma passion, mon univers et je voulais qu’il connaisse ça mais je n’ai pas été malin. Avec Lisa, je voulais y aller en douceur, que ce soit vraiment un truc entre elle et ses copines. Mais pour lancer la machine, je devais être là. »
Guillaume a également fait quelques parties de Warhammer avec Léo avant de le laisser (presque) se débrouiller. « Je voulais juste lui apporter ce que je n’ai pas eu à son âge : le soutien financier et logistique, et l’aiguillage. Je l’ai lancé dans Donjons & Dragons avec le kit d’initiation qui fait gagner du temps sur la création de personnages et propose une première quête sympa. Mais surtout, c’est un jeu qui a de la profondeur, tout un univers, un système de jeu solide. Comme ça, si ça lui plaît et qu’il veut continuer, il aura de la matière. Beaucoup de matière… »
Les maîtres du jeunisme
A travers les nombreux témoignages, recueillis par 20 Minutes après un précédent article sur les jeux de rôle, de nombreux parents utilisent cette pratique pour entretenir une relation complice avec leurs enfants. Au point de se laisser « masteriser » par son fils ? « Cléo voulait à tout prix être maître du jeu et moi ça m’allait, raconte Bérengère. Il a lu toutes les règles, il a conçu sa campagne, il a recruté les autres joueurs. Que des ados… Mais je me suis sentie tout de suite à l’aise. Il était convenu que je ne reste que pour quelques parties quand même. Il a fait partir mon personnage de manière très belle, très élégante, sans le tuer. J’ai failli en pleurer, c’était un beau moment entre nous. »
Bruno aussi a décidé que la suite de l’aventure de sa fille se ferait sans lui. « Maintenant, elle a tout à disposition, les livres, les dés, le background culturel que sa mère et moi lui donnons. Et je suis là si elle a besoin de conseils. Mais c’est tout. Là, elle veut jouer à Cats ! La mascarade, un jeu où tu joues des chats espions. Elle préfère l’enquête aux aventures avec des elfes et des gobelins… Je lui ai offert et je l’ai lu aussi. J’espère qu’elle me racontera leurs parties. »
Faire un jet de fierté parentale
Bérengère est aussi ravie d’avoir pu comprendre un peu mieux l’univers de son fils à travers les parties de Role’n Play qu’ils ont partagé : « J’ai été étonné de la place de l’humour dans ces parties. On rigole beaucoup même s’il y a parfois de la tension. Je m’imaginais le jeu de rôle comme un truc très sérieux, très intense. Maintenant je me sens armée pour aller convaincre mes amies de jouer. Peut-être à Donjons & Dragons, parce qu’elles l’ont vu dans Stranger Things… »
Guillaume aussi espère suivre la trace de Léo et remonter une table de jeux de rôle de son côté. « J’ai assisté à leur partie, c’était le foutoir. Et à un moment, Léo s’est mis à improviser et là, le silence s’est fait. C’était un super moment. » Léo est sorti du scénario, et explique comment il est retombé sur ses pattes : « Les joueurs étaient attaqués par une manticore mais ils ont essayé de l’apprivoiser. Et c’était logique en fait que ça marche, même si je n’avais pas prévu ça. Maintenant ils sont copains avec une manticore. » Guillaume ricane : « C’est n’importe quoi ! Mais ça fait envie quand même non, d’être copain avec une manticore ?