«Les séries télé font réfléchir le public»
INTERVIEW•Vincent Colonna, philosophe de formation s'est penché sur un art en voie de reconnaissance...Propos recueillis par Anne Kerloc'h
«Dr House» et L’Odyssée, même combat? Vincent Colonna, philosophe de formation et romancier, vient de publier un érudit L’Art des séries - Comment surpasser les Américains (éd. Payot).
Vous êtes plusieurs philosophes à avoir écrit sur les séries...
Ce n’est pas étonnant. Les récits populaires, dont font partie les séries, mettent en scène des personnages confrontés à des décisions sur leurs actions, leurs désirs… Aristote se posait les mêmes questions. A mon sens, les séries font vraiment réfléchir le public.
Pour vous, la tradition cinéphilique française handicape sa fiction télé?
Les créateurs télé veulent imiter le cinéma. Mais cela n’a rien à voir. Au cinéma, on accepte une expérience esthétique d’une heure, deux heures, dans une salle, un autre monde. Alors que la télévision, c’est de la radio filmée, installée chez soi. Le son gouverne la perception, mais en plus on se lève, on fait autre chose. D’où la nécessité d’être répétitif en fiction, pour être suivi. La série, c’est l’art de la fugue. Elle doit être redondante et surprenante à la fois. Comme la fugue en musique qui prend un thème, mais le module.
Le fait d’avoir des héros complexes contribue à la surprise?
Oui, et cela les rend aussi plus attachants. Prenez Tony Montana dans Scarface. Deux heures au cinéma ça va, mais douze heures chez soi dans une série, personne ne le supporterait ! Trop violent, trop odieux. Alors que le serial killer de Dexter est supportable en série sur plusieurs saisons parce qu’il a un côté moral, bras de Dieu. Il ne va pas nous tuer, puisqu’il ne tue que des criminels, et en plus, il a des sentiments pour sa soeur, sa compagne.
Vous insistez sur les vertus du mélange des genres...
Le mélange des genres est un signe de la révolution esthétique en cours. Prenez «Lost», c’est à la fois de l’aventure, du paranormal, du familial… Dans les années 1930, quand le cinéma est devenu un art noble, on a aussi observé ce mélange, qui a ouvert les territoires créatifs et a abouti dans les années qui ont suivi à des oeuvres passionnantes. Casablanca [1942] avec Humphrey Bogart par exemple était à la fois un film d’amour, d’action et d’espionnage.