Mouvement #Metoo : De la libération de la parole sur Twitter aux livres
FEMINISME•En France, depuis cinq ans, les livres sur le féminisme se sont multipliés et restent parfois longtemps dans le « Top ventes tous genres et formats confondus »Elise Martin
L'essentiel
- Le mouvement #Metoo, parti du tweet d’Alyssa Milano, a permis la libération de la parole mais aussi la multiplication des ouvrages en lien avec le sujet. Selon Livres Hebdo, la production de livres consacrés aux femmes en non-fiction a augmenté de 15 % entre 2017 et 2020.
- Ce mouvement a également permis la création de maisons d’édition et de branche spécialisée de maisons déjà existantes, comme les éditions Points.
- Le récit des femmes est passé des réseaux sociaux à celui des livres pour « laisser une trace, un témoignage dans l’Histoire », d’après une libraire niçoise.
«Je suis le bon cliché de la femme devenue féministe après le mouvement #Metoo, sourit Hélène, 28 ans, Niçoise depuis peu, naviguant entre les rayons de sa librairie préférée de la ville. Et c’est grâce à la lecture que je le suis devenue. » Elle a eu cette « révélation » grâce au livre Sorcières de Mona Chollet, sorti en 2018, maintenant considéré comme « une référence » avec plus de 270.000 exemplaires vendus et traduit en 15 langues.
« A l’époque, j’étais peu présente sur les réseaux sociaux. J’étais au courant sans vraiment l’être, de la résonance du hashtag. Mon copain m’a offert cet essai peu après sa sortie. C’était ma première lecture féministe de ma vie mais aussi le premier livre engagé que je lisais. Grâce à cet essai, j’ai compris que la lecture pouvait être autre chose que s’évader et surtout, que j’avais envie d’en savoir plus. J’ai alors enchaîné avec d’autres comme King Kong Theory de Virginie Despentes ou encore Ma vie sur la route de Gloria Steinem et j’ai acheté énormément d’ouvrages sur le sujet. Et je continue. »
Des nouveaux rayons apparus en cinq ans
Le mouvement #Metoo, parti du tweet d’Alyssa Milano posté le 15 octobre 2017, qui proposait aux femmes, elles aussi victimes de violences sexuelles, de répondre « moi aussi » sous la publication, a permis la libération de la parole et celle de l’écoute mais aussi la multiplication des ouvrages publiés en lien avec le sujet. Selon Livres Hebdo, la production de livres consacrés aux femmes en non-fiction a augmenté de 15 % entre 2017 et 2020. Ainsi, de nouveaux rayons « féminisme » ont vu le jour dans de nombreuses librairies.
C’est le cas à la librairie Masséna, à Nice. « Je ne me souviens plus vraiment à quel moment la section a été créée mais ça doit être il y a quatre ans à peu près », indique Bastien Prenat, libraire dans l’établissement depuis huit ans. Il ne peut pas évaluer le pourcentage des ventes de ce type de livres mais il assure : « Il y a énormément de bouquins sur le sujet désormais. On a même plusieurs étages dans le rayon maintenant. C’est littéralement une explosion. » Certains ouvrages se sont même échappés de leur catégorie pour arriver au premier rang lorsqu’on entre dans cette librairie. C’est le cas du dernier livre de Virginie Despentes, Cher Connard, par exemple. « Au mois de septembre, les ventes de ce roman ont été exceptionnelles », souligne le libraire.
Multiplication des livres et des maisons d’éditions
A Nice, la librairie Vigna est spécialisée dans les livres anciens et d’occasions sur les thématiques LGBTQIA + et féministes. « Avec notre volonté de faire de l’archives, ça nous permet d’avoir un regard en arrière, développe l’une des deux fondatrices Française Vigna. Des livres féministes, il y en a toujours eu. Mais c’est vrai qu’actuellement, on remarque un plus grand appétit sur ces sujets avec une plus grande proposition éditoriale, comme des créations de maisons d’édition. »
Dans les faits, ça s’illustre avec des livres qui restent plusieurs semaines dans le « Top des ventes nationales, tous genres et formats confondus » comme La voyageuse de nuit de Laure Adler (19 semaines) ou Les Grandes oubliées de Titiou Lecoq (23 semaines) avec des dizaines de milliers d’exemplaires vendus, selon Edistat. Et dans la création de maisons d’éditions comme les éditions Hors d’atteinte ou branches spécialisées de maisons d’éditions déjà existantes, comme les éditions Points.
La libraire reprend : « Le mouvement #Metoo a été une fenêtre pour publier, un coup de projecteur sur une lutte qui est encore plus profonde. En ce moment, à travers l’intérêt qu’il suscite, il permet de s’incarner, de s’exprimer, de revendiquer et de réclamer un changement collectif. Et au niveau local, on a aussi pu voir que ce moment clé a permis la création de nouvelles librairies féministes. Alors qu’il y a onze ans, quand on s’est installé à Nice, on nous disait qu’il ne fallait pas espérer survivre ici. »
« Chaque femme qui prend la parole et livre son récit déverrouille la parole d’une autre »
Les Parleuses, à quelques mètres de la librairie Vigna, a ouvert ses portes en 2018. Pour Anouk, une des propriétaires, « ouvrir une librairie c’était déjà une prise de conscience féministe ». « On commence à avoir d’autres noms que ceux d’hommes blancs cisgenres et hétérosexuels sur les couvertures et ça fait du bien, s’exclame-t-elle. Ça fait quatre ans qu’on a ouvert et on voit que ça monte à tous les étages parce que tout est lié. Et ça continue. Les femmes n’ont pas le droit de parler, alors elles écrivent. Et chaque femme qui prend la parole, livre son récit, déverrouille la parole d’une autre. »
Pour elle, si le mouvement #Metoo et la littérature ont, à leur façon, eu des influences l’un sur l’autre, c’est grâce « au pouvoir de l’écriture ». Elle ajoute : « La parole est passée des témoignages sur les réseaux sociaux au support physique du livre. Cet objet laisse une trace, c’est un témoin de l’Histoire. Il fait passer un message, il est une source de savoir, il passe de mains en mains. Un livre, c’est un accès à la culture, à partir de 2 euros, qu’on peut garder. »
Notre dossier #metoo
Pour aller plus loin, des rencontres avec des écrivaines et écrivains sont organisés. Fin septembre, c’est Lucie Geffroy, journaliste cofondatrice de la revue féministe La Déferlante qui va lancer sa maison d’édition, qui s’est déplacée. « La librairie était pleine. On ne savait plus où mettre les gens. On remarque que, même à Nice, il y a des gens qui ont besoin de récits différents sur cette question. Et les trois prochaines organisées, les autrices ont quelque chose à dire sur le sujet. » Au programme notamment, la journaliste et scénariste Hélène Devynck qui a travaillé pour TF1 et qui a été l’assistante de Patrick Poivre d’Arvor. Elle a écrit Impunité, publié le 23 septembre dernier.
« La justice, elle, n’a pas encore changé. Le combat doit alors continuer, dit Anouk. Pour nous. Pour nos filles. »