INTERVIEW Stéphane Goudet: «Il a trouvé dans le mime un moyen d'expression»

Stéphane Goudet: «Il a trouvé dans le mime un moyen d'expression»

INTERVIEWLe commissaire de la rétrospective Jacques Tati, Stéphane Goudet, explique pourquoi ce cinéaste mettait très peu de dialogues dans ses six longs métrages...
Propos recueillis par Adrien Potocnjak-Vaillant

Propos recueillis par Adrien Potocnjak-Vaillant

La Cinémathèque française, à Paris, lance ce lundi une rétrospective consacrée au cinéaste Jacques Tati, jusqu’au 3 août 2009. Interview de Stéphane Goudet, commissaire de l’exposition, directeur du cinéma Le Méliès à Montreuil et auteur d’une biographie de Jacques Tati (éd Cahiers du cinéma).


En quoi Jacques Tati est-il moderne?

C’est un des cinéastes qui a le mieux capté la modernité de l’époque, le passage d’une France rurale («Jour de fête») à une France moderne en train de se convertir à l’architecture internationale («Playtime»). Il utilisait un comique de situation très humain, ancré dans le réel, tout en représentant les dérives possibles de la modernisation, en sentant les conséquences que cela aurait sur la vie quotidienne.


Il a réalisé «Playtime» au moment où la Défense, devenu un quartier d’affaires parisien, sortait de terre. Il a fait un travail d’enquête, rencontré des gens qui travaillaient sur le projet, des architectes contemporains du monde entier. Il a tout de suite saisi les conséquences de l’utilisation du verre et de l’acier, notamment l’effet de transparence qui remettait en cause la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, et les enjeux qui en découlaient en termes de cinéma et de vie quotidienne. Notre exposition est centrée sur sa modernité, en quoi Tati parle aujourd’hui et non pas sur son côté folklorique.



Est-ce que le fait que Tati ait eu des origines russes, hollandaises et italiennes a contribué à son succès à l’international?

Malgré ses origines, il n’était pas polyglotte. Il pensait ne pas bien parler français, avait un grand complexe de l’éloquence. Le corps prenait alors le relais d’une parole perçue comme déficiente, cela se voit beaucoup dans certaines interviews filmées. Il a trouvé dans le mime un moyen d’expression. C’est une des explications qu’il donnait à la présence très limitée de dialogue dans ces films. «Regardez, je ne suis pas capable de faire des dialogues», disait-il. Il avait aussi conscience de faire un cinéma qui s’adressait au monde entier et pas seulement à la France. Par exemple, avant de tourner une scène des «Vacances de Monsieur Hulot», il s’inquiète: «Est-ce qu’ils jouent aux mots croisés aux Etats-Unis?» Comme ce n’était pas le cas, la scène n’a pas été tournée. Il a également tourné «Mon Oncle» à moitié en français, à moitié en anglais, ce qui a permis au film d’être vu à Hollywood et a certainement contribué à son Oscar.



Quelle influence a-t-il eu sur les artistes des générations suivantes?

Il a un rayonnement étonnant. Assayas, Gondry, Annaud, Lynch, que nous avons rencontrés, tout le monde l’apprécie. Il est devenu l’emblème d’une exigence de cinéma. Mais il touche au-delà du monde cinéphile, il parle aussi aux architectes, designers et plasticiens. Gad Elmaleh a dit qu’il l’admirait, Lynch s’est inspiré de son travail du son. L’influence de Tati transparaît même dans la scène du facteur de «Bienvenue chez les ch’tis», de Dany Boon. Il parle aussi bien aux gens qui font du cinéma populaire qu’à ceux qui font du cinéma considéré comme élitiste, voire expérimental. Il fait vraiment partie de la culture collective.