Grève à la SNCF: Réalisme social ou comédie de mœurs, les mouvements sociaux inspirent peu les cinéastes français
CINÉMA•Contrairement au cinéma britannique, les films français s’emparent rarement du sujet des grèves et luttes syndicales…Benjamin Chapon
L'essentiel
- Les grèves inspirent peu ou mal les cinéastes français.
- Les mouvements sociaux sont souvent réduits à une dimension comique selon un historien du cinéma.
- Le cinéma britannique a, au contraire, une tradition des comédies sociales.
Alors que les Français suivent avec attention l’évolution du mouvement de grève à la SNCF, peut-être parti pour durer voire s’étendre à d’autres corps de métiers, le cinéma français n’a toujours pas traité les grandes grèves de 1995. Quasiment aucun film, à part quelques courts-métrages ou documentaires, ne s’est emparé du sujet.
D’ailleurs, ni les grèves en général ni les mouvements sociaux n’inspirent les cinéastes. « Dans le cinéma français, une grève est au mieux un prétexte, au pire un décor », se lamente Christophe Jean-Pierre, professeur d’histoire du cinéma à l’Université de Bordeaux. Le spécialiste cite ainsi quelques comédies comme Le bonheur est dans le pré ou Potiche qui mettent en scène des grèves localisées dans de petites usines familiales. « Ce sont des comédies de mœurs où la grève est vue comme quelque chose de sympathique, mais sans approche sociologique. C’est un accident de scénario, un catalyseur à sentiments contraires. »
Le cinéma français = social-traître
Pour trouver trace d’un film français traitant de manière plus centrale des grèves, il faut creuser un peu plus. « Dans Par suite d’un arrêt de travail, film de 2008, Charles Berling et Patrick Timsit se retrouvent contraints de covoiturer à cause d’une grève des trains. Ce sont deux personnages censés représenter l’ambivalence des Français face aux mouvements de grève. L’un soutient, l’autre s’oppose. Mais ce n’est pas un film social, c’est une comédie vaguement sociologique. La grève sert à dévoiler des personnages, pas à aborder une réalité ni même une problématique sociale. D’ailleurs il y a très peu de cinéma social français… »
Pour Christophe Jean-Pierre, très peu de films français osent parler de manière sérieuse des mouvements sociaux. « Il y a eu Ressources humains, qui est presque un documentaire, très précis, très fort, sur une réalité sociale mais surtout une histoire familiale entre un père ouvrier et un fils éduqué aux sciences économiques. C’est shakespearien ! »
La perfide Albion a tout à nous apprendre
Mais pour le spécialiste, les cinéastes français auraient beaucoup à apprendre, sur le sujet, auprès de leurs confrères britanniques. « On retient souvent le cinéma social de Ken Loach. Mais au-delà de ce géant, il y a toute une galaxie de films sociaux, notamment des comédies, qui embrassent ces thématiques de manière intelligente comme Pride, qui traite intelligemment des luttes croisées des ouvriers et des homosexuels, Billy Elliot qui porte un regard intime sur le rapport à la grève et ce qu’elle peut porter de sentiments sublimes, ou We want Sex Equality, qui est une vraie belle comédie féministe. »
Un discours réactionnaire
De La Grève, film de propagande communiste de Serguei Eisenstein à Grève Party de Fabien Onteniente, les mouvements sociaux ont, selon l’historien du cinéma, toujours servi « à porter des discours politiques. En éludant le sujet des grèves et en n’en faisant qu’un élément mineur de leurs scénarios, les cinéastes français portent un regard réactionnaire sur la lutte sociale. »
Christophe Jean-Pierre cite un film de Claire Denis de 2002, Vendredi soir, avec Valérie Lemercier et Vincent Lindon. « La grève de 1995 sert de décor et de prétexte à une rencontre amoureuse fortuite. Mais dans le film, l’appel à la solidarité, initié par le contexte de lutte, sert à aborder la misère sentimentale des personnages, et pas la misère sociale. Un cinéaste anglais aurait sans doute réussi à traiter les deux. »