ART VIVANTEssayer de comprendre une performance artistique est une performance

«Do Disturb» au Palais de Tokyo: Parfois, essayer de comprendre une performance est une performance

ART VIVANTLe festival de performance électrisera le Palais de Tokyo à partir de ce vendredi, et jusqu’à dimanche…
Clio Weickert

Clio Weickert

«Festif, émouvant et profond ». La commissaire d’exposition Vittoria Matarrese est formelle, il y en aura pour tous les goûts. Pour la 4e année consécutive, le Palais de Tokyo ouvrira ses portes de vendredi à dimanche à « Do Disturb », son festival annuel de performance. Le principe ? Accueillir pendant trois jours des jeunes artistes émergents des arts vivants, provenant du monde entier, qui investiront l’intégralité de l’institution parisienne.

Le festival «Do Disturb» électrisera le Palais de Tokyo du vendredi 6 avril au dimanche 8 avril.
Le festival «Do Disturb» électrisera le Palais de Tokyo du vendredi 6 avril au dimanche 8 avril. - C.WEICKERT/20MINUTES

Comme son nom l’indique, le festival souhaite « déranger ». « Dans le sens de changer le regard sur les choses, précise Vittoria Matarrese, et sortir d’une lecture linéaire de la performance muséale. Là il y a des scènes non frontales, et des performances qui durent une minute ou douze heures. Il y a aussi une grande proximité, le public n’est pas tenu à l’écart, c’est une autre expérience de l’art. » Une expérience qui vaut le détour, que l’on soit amateur d’arts vivants, ou non.

Car oui, certaines expériences sont carrément « WTF » comme on disait en 2016, et peuvent dans un premier temps laisser pantois (voir médusé). Mais parfois, ça fait du bien d’être médusé (ou pantois). 20 Minutes, qui a pu découvrir en amont du festival quelques-unes de ces œuvres, vous donne un aperçu des performances de déglingos qui n’attendent que vous.

« Rite », de Florence Peake

Florence Peake
Florence Peake  - Anne Tetzlaff

L’idée du projet. Dans Rite, Florence Peake réinterprète le Sacre du printemps de Stravinsky, mais toute nue, et dans la boue.

Ce qu’on en pense de prime abord. En gros, une petite dame patauge dans la boue et pimpe le tout en disant que c’est du Stravinski.

Ce qu’on en pense si on y réfléchit un peu. Pourquoi pas finalement ? Qui a dit qu’un ballet ne pouvait pas se jouer dans la boue ? Sans oublier le côté régressif et assez jouissif de se rouler dans l’argile… Tout nu en plus. On en deviendrait presque un peu jaloux de ne pas pouvoir participer au projet.

Ce qu’on en pense après avoir lu le communiqué. « Florence Peake transpose le ballet dans ce qu’elle décrit comme une "sculpture performative" », est-il écrit, ajoutant que « Rite célèbre le pouvoir primordial du corps en tant que force contre le conservatisme ». Réaction ? Emoji « petit bonhomme qui s’interroge avec son doigt sur le menton ». Disons qu’au moins Florence Peake a l’audace de danser nue dans la boue sans se soucier des autres, et ça ne ferait de mal à personne d’en faire de même.

« Sôlarsteinn UVB », de Vincent Voillat

L’idée du projet. Vincent Voillat, l’un des fondateurs de « l’Institut d’Esthétique » (sorte de festival dans le festival qui propose plus d’une quinzaine de cabines de « soins), a inventé une cabine UV, logé dans un menhir.

Ce qu’on en pense de prime abord. Un concept peu commun.

Ce qu’on en pense si on y réfléchit un peu. On comprend le rapport avec « l’Institut d’Esthétique », bien entendu, quant au menhir… On ne voit pas trop ce que la construction du Néolithique vient faire ici.

Ce qu’on en pense après en avoir discuté avec l’artiste. « Je travaille principalement la pierre, surtout sur des formes très primitives, que je croise avec des nouvelles technologies, explique-t-il. On invoque des choses qui viennent d’en haut, comme un truc un peu magique. » On aime souvent se moquer des concepts un peu tirés par les cheveux de l’art contemporain, en oubliant parfois que derrière ces œuvres se cachent de sacrés inventeurs, et de merveilleux rêves d’enfants. Et gros point positif de ce projet : il s’agit d’une vraie cabine UV, et vu le marasme climatique actuel, on ne crache pas dessus.

« O Batatódromo », de Fyodor Pavlov-Andreevich

Au fond, l'oeuvre «O Batatódromo» de Fyodor Pavlov-Andreevich, en pleine installation.
Au fond, l'oeuvre «O Batatódromo» de Fyodor Pavlov-Andreevich, en pleine installation.  - C.WEICKERT/20MINUTES

L’idée du projet. Tandis que Fyodor sera installé dans un grand cône recouvert de pommes de terre, avec juste la tête qui dépasse, son assistant lui versera des patates dessus pendant des heures.

Ce qu’on en pense de prime abord. Réaction : émoji « Le Cri de Munch » suivi un quart de seconde après par l’émoji « mine interdite ».

Ce qu’on en pense si on y réfléchit un peu. Un questionnement autour de l’enfermement, de la soumission et de la famine ? Ou peut-être une réflexion sur le rapport à la terre et à la fertilité ? Ou tout simplement un hommage aux Andes, territoire d’où est originaire la pomme de terre.

Ce qu’on en pense après en avoir discuté avec la commissaire. Russo-brésilien, Fyodor Pavlov-Andreevich ferait appel à la patate, notamment parce qu’elle fait partie de sa culture. Et il a l’air un peu foufou. Un projet un peu mystérieux, mais surtout absurde, et il faut le reconnaître, qui ne laisse pas indifférent. Et s’il n’y avait rien à comprendre finalement ?

« Crooking to Venus II », de Maxime Rossi

L’idée du projet. Autre cabine de l’institut, Crooking to Venus II devrait ressembler à une cabine avec un nuage coloré et du son, le tout dans une démarche « d’orgasme coloré ».

Ce qu’on en pense de prime abord. Peut-être l’une des choses les plus surprenantes qu’on ait entendues jusqu’à présent.

Ce qu’on en pense si on y réfléchit un peu. Un orgasme coloré ? S’agit-il d’une pratique fétichiste avec de la peinture ? Un dérivé de la golden shower ? Ou alors, sommes-nous passé à côté de quelque chose ? Par conséquent, cette découverte pourrait être bouleversante d’un point de vue personnel… Bref, beaucoup (trop) d’interrogations.

Ce qu’on en pense après en avoir discuté avec l’artiste. « Cela fait référence à la synesthésie, lorsque des gens associent des couleurs à des lettres par exemple, éclaire Maxime Rossi. Certains ressentent notamment des orgasmes colorés ». On se dit alors que ça a l’air inouï et magnifique (le projet artistique ET l’orgasme coloré), et que la vie ne cessera jamais de nous surprendre.

« Death yourself », de Matthias Garcia

Mathias Garcia dans un cercueil, l'un des éléments de «Death yourself».
Mathias Garcia dans un cercueil, l'un des éléments de «Death yourself».  - C.WEICKERT/20MINUTES

L’idée du projet. L’artiste propose aux visiteurs de s’installer confortablement dans un cercueil, pendant que ses proches s’assoient à ses côtés sur des chaises, et expriment leurs émotions et leurs opinions concernant le défunt. Le tout avec des vidéos de pleureuses en fond.

Ce qu’on en pense de prime abord. Mais ça ne porte pas malheur de s’installer dans un cercueil ?

Ce qu’on en pense si on y réfléchit un peu. Que l’artiste touche ici à un tabou ultime et que la simple vue de cette boîte provoque des frissons. Un parti pris intéressant, d’autant que la mise en scène superficielle est relativement glaçante.

Ce qu’on en pense après en avoir discuté avec l’artiste. Matthias Garcia aime ce décalage entre un sujet assez lourd, et les faux-semblants qui peuvent encadrer ce genre d’événements. Et on devine entre les lignes que la provocation n’effraie en rien ce jeune artiste. En résumé, une œuvre déroutante, et dérangeante.

Infos pratiques : Le festival ouvre ce vendredi de 18 heures à minuit, samedi de 14 heures à minuit et dimanche de 12 heures à 18 heures. Les billets, 15 euros le pass 3 jours en plein tarif et 12 euros en tarif réduit, sont en vente à la billetterie du Palais de Tokyo, sur le site Internet et sur digitick.com