«Everything Sucks!», «American Crime Story»... Les années 1990 vont ringardiser les années 1980 dans les séries
LES TEMPS CHANGENT•Alors qu’on ne compte plus les séries dont le décor est planté dans les années 1980, la décennie suivante semble lui faire de plus en plus concurrence dans le cœur et l’inspiration des showrunners…Fabien Randanne
L'essentiel
- «American Crime Story », « This is Us » ou, dernière en date, « Everything Sucks ! »… de plus en plus de séries se déroulant dans les années 1990 voient le jour.
- L’aspect nostalgique n’est pas anodin puisque les clins d’œil sur la culture pop de l’époque abondent.
- Situer l’action d’une série dans les années 1990, c’est aussi raconter une histoire à une période, encore relativement récente, où les téléphones portables en étaient à leurs balbutiements, où Internet n’était pas accessible en haut débit et où Snapchat était de la science-fiction…
Cela va bien finir par arriver dans le monde des séries : les années 1980 vont devenir ringardes. De Strangers Things à Glow, de Dark à The Americans ou The Goldbergs… la décennie a été parcourue en long, en large, et parfois de travers et il semble inéluctable que les showrunners s’attellent à défricher de nouveaux territoires temporels.
Bienvenue donc dans les années 1990 ! Ryan Murphy a joué les éclaireurs avec ses American Crime Story retraçant l’affaire O.J. Simpson et, dans la saison en cours de diffusion, l’assassinat de Gianni Versace, à grand renfort de brushings d’époque. The Looming Tower, qui va débarquer sur Hulu le 28 février, abordera la période pré-11-Septembre quand la CIA et le FBI se livraient à des batailles d’égos alors qu'Oussama Ben Laden représentait une menace grandissante. Voilà pour le versant historique.
« Les années 1990, c'était pas fun »
Du côté des fictions portées sur l’intime, on peut déjà compter sur This is Us qui multiplie les incursions dans l’adolescence de ses héros, à l’époque où Titanic cartonnait tout au box-office. Idem pour Young Sheldon, qui s’intéresse à l’enfance du héros de Big Bang Theory. Mais la première à jouer pleinement la carte nineties est – à moins que notre mémoire nous fasse défaut – Everything Sucks ! disponible depuis vendredi sur Netflix.
Au fil des dix épisodes, on suit une petite bande de lycéens lancée dans le tournage d’un film bricolé entre deux histoires de coeur. Ça se passe en 1996, alors ils écoutent Wonderwall sur leurs discmans, contactent leurs parents via leurs pagers et débattent sur la mise en chantier de Star Wars : La Menace fantôme.
« C’est une série qui raconte que les années 1990, c’était pas fun, souligne Renan Cros, journaliste à Cinemateaser. Elle parle de gamins qui n’ont pas beaucoup d’illusions et sont l’inverse des cool kids de Stranger Things. » Une « génération désenchantée », prophétisée par Mylène Farmer dans son tube de 1991. Cette décennie, coincée entre la chute du mur de Berlin et la psychose du bug de l’an 2000, serait-elle juste bonne à nous chanter que « tout est chaos à côté » et que « plus rien n’a de sens et plus rien ne va » ?
Qui connaît Alanis Morissette ?
Ce serait évidemment trop limité. «L’action des séries est placée à l’époque de la naissance du public visé. Elles jouent sur la nostalgie», notait l’analyste des médias François Jost auprès de 20 Minutes qui l’interrogeait il y a cinq ans sur… l’engouement des fictions pour les années 1980. Nulle raison que le constat ne puisse s’appliquer aussi aux nineties. D’ailleurs, Netflix a joué à fond la carte madeleine de Proust pour promouvoir Everything Sucks !
« Quand le Cloud était carré », s’amuse une affiche faisant allusion aux capacités de stockage des bonnes vieilles disquettes. « Quand les sextos, c’était des numéros », plaisante une autre, montrant un « boobs » (« nichons ») écrit avec des chiffres sur une calculatrice)...
Que les personnages d’Everythings Sucks ! dissertent des paroles d’Ironic (« De la pluie le jour de ton mariage ? C’est des abrutis, ils se sont bien trouvés. Ils regardent jamais la météo ? ») n’est donc pas anodin. « Dans l’écriture, la série s’adresse aux adultes. Je ne suis pas sûr que beaucoup d’ados sachent qui est Alanis Morissette », reprend Renan Cros.
« Un Eldorado fictionnel »
Et de nuancer : « Les plus jeunes peuvent néanmoins s’attacher aux personnages car les années 1990, c’est aussi un simple contexte. J’ai l’impression que cela représente par ailleurs un Eldorado fictionnel dans lequel les protagonistes peuvent revenir à une forme d’innocence. Sans l’hyperconnexion (aux smartphones, aux réseaux sociaux…), il y a du romanesque qui revient. » Il est vrai que traverser la ville à vélo pour saluer la fille dont on est amoureux est plus grisant que l’envoi d’un DM sur Twitter. Du moins à filmer. Et ça, même les années 2000 ne pourront pas le ringardiser (qui nous a traité de vieux cons !?).