Sanremo 2018: «Ce festival est ce qu’il y a de plus important en Italie, plus que le foot!»
MUSIQUE•La 68e édition du concours de chansons italien s'est ouvert mardi et se poursuit jusquà samedi. Ces jours-ci, la ville de Sanremo vit au diapason de cet événement-phare de la culture populaire italienne...Fabien Randanne
De notre envoyé spécial à Sanremo (Italie),
« Volare oh, oh, cantare oh, oh, oh » Le tube international de Domenico Modugno s’échappe des enceintes d’un restaurant de Sanremo ( Italie) et irrigue de son grésillement le cours Garibaldi. L’artère relie la gare au cœur de la ville qui, pour la soixante-huitième année, pulse depuis mardi et jusqu’à samedi au rythme de son festival de la chanson italienne, qui sacrera son grand vainqueur parmi vingt candidats. « Una musica dolce suonava soltanto per me »… « Une douce musique était jouée pour moi seul », continue le morceau vainqueur de l’édition 1958, on ne peut plus approprié lorsque l’on remonte la rue quasi déserte de cette ville grande comme Aubagne et qui, comme bien des coquettes destinations de bord de mer, semble vivre au ralenti hors saison.
aUne première impression balayée dès lors que l’on approche de la place Christophe-Colomb où tout le monde semble s’être donné rendez-vous. Les habitants tentent de vaquer à leurs occupations en croisant les festivaliers repérables à leurs imposantes accréditations portées en collier. Des marchands à la sauvette essayent d’écouler leurs bracelets lumineux pendant que les curieux profitent des animations semées dans les parages.
« Ce festival est ce qu’il y a de plus important en Italie ! »
Il ne faut faire que quelque pas de plus pour le repérer, sa façade de néons scintillant dans une rue Mateotti semblant trop petite : le théâtre Ariston. Pour les Italiens, ce lieu est mythique, un temple de la variété, la scène sur laquelle tout se joue. Il est à peine 16 h ce jeudi qu’une foule de parapluie se presse autour du tapis rouge, tentant d’apercevoir les stars dès leur arrivée.
Ceux qui attendent à la sortie des artistes auront plus de chance. Un petit attroupement, plutôt jeune, guette les allées et venues, repère les voitures aux vitres teintées et s’écrie en chœur « Giusyyyy ! » lorsque ladite Giusy (Ferreri), candidate malheureuse de l’édition précédente, vient à leur rencontre. Une poignée de lycéens crient à leur tour son prénom, sur un ton moqueur. Mais quand la chanteuse s’approche, les taquins se font fans et se pressent vers elle pour un selfie. Alessio se retourne tout sourire. Il a eu droit à sa photo. « J’adore Giusy ! Surtout son histoire : elle était caissière et elle est devenue célèbre en participant à X Factor », glisse ce Piémontais de 19 ans venu spécialement pour le festival. « Ici, les artistes sont accessibles et c’est génial », s’enthousiasme le jeune homme qui, quand on lui demande ce que représente le festival pour les Italiens répond spontanément : « C’est ce qu’il y a de plus important ! » Davantage que le foot ? Toujours sans réfléchir : « Oui ! »
Le show de ce vendredi soir sera diffusé sur la Rai 1, la télévision publique, en même temps que le match entre la Fiorentina et la Juve. La guerre des audiences n’aura pas vraiment lieu, car la rencontre sportive sera visible seulement sur une chaîne payante. Mais il n’est pas dit que sur une antenne gratuite le calcio se soit imposé. Le Festival de Sanremo fait un carton niveau audiences. Les directs (interminables : ils commencent à 20h45 et s’achèvent vers 1 h du matin !) de mardi, mercredi et jeudi ont réalisé des scores compris entre 9.7 et 11.6 millions de téléspectateurs, et des parts d’audiences dans une fourchette allant de 48 % à 52 %. Autrement dit, ces derniers soirs, un Italien sur deux qui regardait la télévision suivait le concours de chansons. Au menu : les prestations des candidats - dont celle très remarquée du groupe Lo Stato Sociale accompagné de la danseuse Paddy Jones, 83 ans…) et d’artistes invités (Sting, James Taylor…). Ces vendredi et samedi, soir de la grande finale, les courbes resteront assurément au plus haut et la concurrence se contentera des miettes.
« On n’a pas de carnaval, mais on a le festival »
Massimo, sera, c’est sûr au rendez-vous devant son petit écran. Peut-être après avoir fait un tour du côté du tapis rouge comme il l’a fait ce jeudi soir où on l’a croisé. « Je suis né à Sanremo, ce festival, je l’ai dans le sang », sourit ce quadragénaire qui, s’il n’a pas les moyens d’assister au spectacle live dans la salle, touche un bout du rêve en faisant de la figuration dans le public lors des répétitions. « Pour moi, c’est une semaine de fête. On n’a pas de carnaval, mais on a le festival », reprend-il. Il suffit de se balader dans le centre-ville pour constater qu’il a raison.
D’un coin de rue à l’autre on tombe sur quelques personnes déguisées tandis que des musiciens anonymes jouent sous les guirlandes de lumière en forme de clefs de sol. L’ambiance rappelle par moments la Fête de la musique à la française. Le magazine télé partenaire de l’événement a disposé dans les ruelles des figurines des candidats, grandeur nature et en carton, et les vitrines sont au diapason, interprétant le thème à leur manière. Certains osent des jeux de mots comme ce restaurant qui promeut ses sabayons avec la pancarte « All’Ariston, c’é Baglioni e qui gli zabaglioni » (« A l’Ariston, il y a Baglioni et ici, les sabayons ») en référence à Claudio Baglioni, l’un des animateurs de cette édition. Bref, la ville semble vivre pour son festival.
École buissonnière autorisée
« Il y en a quand même beaucoup ici qui aiment râler pour les embouteillages, les rues bondées… mais ça fait venir des gens et c’est important pour le tourisme », avance Massimo. Une dissension qui s’illustre ce vendredi dans les pages de La Stampa. Un article sur des fleuristes qui déplorent de ne pouvoir livrer leurs bouquets aux stars en mains propres et disent être « séquestrées » par la sécurité (les mesures de protection sont en effet relativement imposantes) fait face à un autre sur un projet de la Mairie, « la città in vacanza » (la ville en vacances), dont l’objectif serait de permettre à chaque Sanrémasque d’adapter son emploi du temps pour profiter au mieux de l’événement. Certains établissements scolaires ont d’ores et déjà mis en place leurs propres dispositifs en autorisant l’école buissonnière.
Ce vendredi matin, devant le Théâtre Ariston, on comptait davantage de seniors que de lycéens. Deux amies retraitées ont fait le déplacement depuis Savone, à une centaine de kilomètres de là, et papotent. « On essaie de venir tous les ans, juste pour voir les artistes passer. Demander un autographe, c’est plutôt pour les jeunes, les regarder ça nous suffit », confie l’une d’elles. Pour le moment, elles n’ont vu personne. « On a encore le temps, notre train repart à 15h30 », poursuit la septuagénaire. Elles entendront peut-être elles aussi Volare sur le chemin du retour pendant que d’autres curieux auront pris leur place.
Tard dans la nuit de samedi à dimanche, le nom du vainqueur sera dévoilé. Il remportera entre autres la possibilité de représenter l’Italie à l’Eurovision avec sa chanson. Il peut refuser et laisser cette opportunité à l’un des autres candidats en lice, qui sera choisi par la Rai. La ferveur pour le concours européen ne sera pas la même : l’an passé, alors que l’Italien Francesco Gabbani - qui avait remporté le Festival de Sanremo trois mois plus tôt - était un sérieux candidat à la victoire, il a fini sixième et « seulement » 3.7 millions d’Italiens (20 % de parts d’audience) ont regardé l’Eurovision. Les cœurs transalpins resteront acquis à Sanremo…