Hiro Mashima, auteur de «Fairy Tail»: «L'âge d'or du shônen manga est fini, mais nous sommes aujourd'hui lus dans le monde entier»
INTERVIEW•Alors que sa série « Fairy Tail » se termine bientôt et est à l’honneur du festival d’Angoulême, le mangaka Hiro Mashima revient sur les spécificités du shônen manga pour « 20 Minutes »…Propos recueillis par Vincent Jule
Elles sont les héritières de Dragon Ball. Depuis maintenant plus dix ans, les séries One Piece, Naruto, Bleach, Hunter X Hunter ou Fairy Tail incarnent l’esprit shônen, ce type de manga destiné en priorité aux garçons - mais pas que. Or, après Naruto et Bleach en 2017, c’est autour de Fairy Tail de bientôt s’arrêter en France, dans deux tomes… au 63e !
L’occasion pour le festival d’Angoulême de mettre un coup de projecteur sur ce manga à succès, son univers de fantasy et de magie, et le genre shônen, à travers une expo spectaculaire, une master class ou un combat de dessins entre son auteur Hiro Mashima et Reno Lemaire, le dessinateur du manga à la française Dreamland. 20 Minutes s’est senti plus à l’aise avec une interview du mangaka. Fight ?
Si le shônen est très populaire en France comme au Japon, et décroche même des prix, il est plus rarement honoré dans les festivals, expositions ou musées.
C’est vrai, c’est donc un immense honneur pour moi d’être exposé à Angoulême. J’ai la chance d’être un auteur qui voyage pas mal à travers le monde, mais pour ceux qui restent au Japon et le vivent à distance, c’est important et motivant de savoir que le manga est reconnu et célébré à l’étranger.
Quelles sont vos influences sur un manga comme Fairy Tail, pour l’histoire et le dessin ?
Je suis un grand fan de films, qu’il s’agisse de gros blockbusters hollywoodiens ou de petites curiosités indépendantes. Et je joue beaucoup aux jeux vidéo, et donc m’en inspire aussi beaucoup. Pour Natsu dans Fairy Tail, un personnage qui adore les ninjas, j’ai pris le contre-pied de l’image des étrangers fans de ninjas, et je me suis demandé si cela ne pouvait pas être drôle d’avoir un Japonais qui aime les ninjas comme un Français. (rires)
La France est d’ailleurs aussi une source d’inspiration chez vous, Notre-Dame de Paris a servi de modèle pour la cathédrale Kaldia de Magnoria.
C’est assez naturel à vrai dire, et même assez fréquent. Par exemple, le personnage d’Erza renvoie à l’image de Jeanne d’Arc.
Le shônen a connu un âge d’or dans les années 90, avec des titres tels que Dragon Ball, Les Chevaliers du Zodiaque, Slam Dunk… Quel souvenir en gardez-vous ?
Je devais avoir entre 15 et 20 ans, j’étais en pleine post-adolescence, et bien sûr, je lisais beaucoup de mangas. Cette période m’a profondément marqué, et c’est le plaisir que j’avais à lire tous ces shônen qui m’ont donné envie de dessiner les miens. Dragon Ball d’Akira Toriyama en tête, s’il ne fallait en retenir qu’un seul, ce serait lui.
Et quel regard portez-vous aujourd’hui sur le marché du shônen ?
L’âge d’or est fini, cela ne fait aucun doute. Je dirais que le marché a évolué, atteint une forme de maturité et connaît une stabilité dans les ventes. Des ventes qui n’ont plus rien à avoir avec avant. Il se vend moins de shônen, mais de ce fait, les éditeurs et les lecteurs ont des attentes plus élevées vis-à-vis des séries et des auteurs. L’époque est presque plus intéressante pour les mangakas, car ils peuvent être lus dans le monde entier. Dans les années 90, ils n’étaient pas exportés, ce n’était même pas envisageable. Alors qu’aujourd’hui, même un manga qui ne rencontre pas son public au Japon, peut devenir un succès à l’étranger.
Quand vous avez commencé Fairy Tail, pensiez-vous que l’aventure durerait plus de dix ans et 60 volumes ?
Oh non. (rires) Ma précédente série, Rave, m’avait déjà pris six ans, et c’était déjà long, trop long. Je m’étais donc promis que la suivante ne durerait pas plus de deux ans. Et voilà où nous en sommes ! (rires) Au fur et à mesure, les personnages ont pris en épaisseur, je me suis attaché à eux, et surtout, le lectorat était en rendez-vous, me suivait et me soutenait dans les directions que je prenais. Je n’ai jamais eu de sentiment de lassitude, ou de manque d’inspiration, je me suis juste rendu compte à un moment que ça faisait dix ans.
Quel a été le déclic qui vous a décidé à arrêter Fairy Tail ?
L’envie de nouveauté, de me lancer de nouveaux défis, d’avoir de nouveaux projets. Je pourrais continuer Fairy Tail, mais cela me fermerait des portes, des opportunités. J’ai donc décidé d’arrêter, et je n’ai ressenti ni libération, ni tristesse. Car les personnages restent avec moi, je peux les redessiner quand j’en ai envie. D’ailleurs, alors que la série est finie, j’ai continué à travailler sur des projets annexes Fairy Tail. Je commence tout juste à prendre des vacances, à réfléchir à mes futurs projets, mais dès que je rentre au Japon, je joue en priorité à Monster Hunter World. (rires)
Les journées à sa table de dessin, les nuits blanches, les dates de rendus… Est-ce que le manga devient à un moment un métier comme les autres, et la passion de l’abnégation ?
Quand je me lève le matin, je ne me dis pas « tiens, je vais au boulot »… car j’y suis déjà ! J’ai simplement dormi sur place. (rires) Pour être honnête, j’adore dessiner, je n’ai jamais ressenti la moindre difficulté, contrainte ou abattement. Je suis seulement attentif à ce que ressentent les lecteurs, comment ils vont réagir, c’est mon moteur au quotidien.
Comment entretenez-vous cette relation avec le lecteur ? Via les réseaux sociaux ?
C’est exactement ça, je suis un utilisateur actif de Twitter : j’ai 1,6 million de followers, et je n’hésite pas à les solliciter. Il y a aussi les résultats d’enquêtes de l’éditeur, les courriers des lecteurs, etc. Je garde un œil sur tout ce que je reçois, et non, je ne retiens pas que les mauvaises critiques. (rires) Je ne suis pas dans cette optique, je me dis toujours que pour un commentaire négatif, il y en a dix positifs.
Remerciements à Thibaud Desbief pour la traduction.