BDComment le «Bug» d'Enki Bilal condamne l'humanité

Comment le nouveau «Bug» d'Enki Bilal va condamner l'humanité

BDL'auteur-réalisateur n'avait plus publié d'album de bande dessinée depuis trois ans…
Olivier Mimran

Olivier Mimran

Tout nouvel album d’Enki Bilal est un événement en soi. D’abord parce que quarante-cinq ans après avoir publié ses premières planches, le Grand Prix du festival d’Angoulême 1987 est unanimement considéré comme l’un des monstres sacrés de la bande dessinée mondiale. Ensuite parce que chacune de ses productions aborde des thèmes clivants (l’obscurantisme religieux dans La tétralogie du Monstre, l’activisme écolo dans La trilogie du coup de sang etc.) qui amènent toujours ses lecteurs à questionner leurs propres certitudes.

C’est encore le cas avec Bug, dans lequel l’auteur-réalisateur français (mais né à Belgrade) reconsidère le ratio bénéfice/risque du tout numérique. Ce que vous allez pouvoir constater grâce aux éditions Casterman, qui présentent les toutes premières pages de l’album aux seuls lecteurs de 20 Minutes. Profitez de votre chance !

Quatre jours avant le chaos absolu

Vous l’avez compris, le premier tome de Bug raconte comment un « incident informatique » d’origine inconnue efface toutes les données numériques… et dans le monde entier ! L’humanité constate vite que s’il est facile de se passer d’ascenseurs, ça l’est beaucoup moins quand il s’agit de véhicules auto pilotés, d’organes numériquement assistés ou de systèmes de sécurité. En résumé, c’est le bor… le grand bazar. « Et c’est hélas très réaliste, précise Enki Bilal à 20 Minutes, car les plus grands spécialistes, scientifiques etc. affirment déjà qu’en cas de disparition de nos ressources numériques, le monde n’aurait besoin que de quatre jours pour sombrer dans un chaos absolu ! »


Heureusement, un espoir subsiste en la personne du cosmonaute Kameron Obb : unique survivant d’une mission sur Mars, il est rentré porteur d’un parasite extraterrestre qui lui occasionne une tâche bleutée sur le visage… et une étrange omniscience. Un peu comme si toute la connaissance du monde avait migré des archives numériques terriennes à son cerveau. « C’est un type ordinaire qui ne se rend pas compte tout de suite de ce qui lui arrive, observe Bilal. Du jour au lendemain, Obb sait tout sur tout et chacun, du plus petit organisme aux plus grands états ; il a un savoir encyclopédique qui lui permettrait de pondre un rapport de 50 pages sur n’importe quel sujet ».



« Incarner des émotions fortes »

« Je me suis demandé ce qui pourrait se passer si ce qui est décrit dans Bug arrivait vraiment. Alors bien sûr, je montre des conséquences universelles. Mais je me concentre surtout sur une famille dont l’un des membres - Kameron Obb - devient le dépositaire de toute la mémoire du monde. Une sacrée responsabilité ! », confie Enki Bilal. Qui trouve dans cette approche le moyen de « créer quelque chose de vivant, de charnel, puisqu’on suit, sans s’attacher aux catastrophes qui sont liées au phénomène du bug, des personnages mus par la vie, une envie de lutter, des objectifs etc. C’est primordial, pour moi, de faire en sorte que des émotions aussi fortes soient incarnées ».


De fait, ce premier volume décrit le tas de catastrophes auxquelles on peut raisonnablement s’attendre, mais il le fait « à hauteur d’homme », en montrant l’impact d’un drame universel à l’échelle individuelle. « Ça rend le message plus puissant, je crois. Et le message, c’est qu’on vit dans un temps hyperparadoxal puisqu’il est le plus technologiquement avancé que l’humanité ait jamais connu et qu’on assiste, dans le même temps, à une régression absolue dans le cadre des religions, qui deviennent des espèces d’armes de guerre, des trucs complètement rétrogrades… donc avec Bug, je présente aussi la photographie de notre monde et une prospective de celui auquel on sera forcément confrontés un jour. »


Transhumanisme, I. A., réalités virtuelles

Malgré ce discours, n’allez pas dire à Bilal que sa vision du futur est bien pessimiste ! « Je considère que l’époque dans laquelle on vit, ce qu’on entend tous les jours, c’est ça qui est déprimant et d’un pessimisme sombre, s’emporte-t-il. On a inventé un monde qui est en train de nous dépasser : transhumanisme, intelligence artificielle, tout ça ce ne sont plus des termes qui surgissent d’un livre de Philip K. Dick ou Isaac Asimov, ce sont des réalités. En devenir, mais des réalités. Il va falloir faire avec. Mais comme le dit Paul Virilio, un prospecteur de l’humain que j’admire beaucoup, "quand on invente l’Airbus A380, on invente aussi la catastrophe qui touchera, un jour, plus de 500 passagers" ».


Malgré ses 88 pages, le premier volume de ce captivant récit d’anticipation génère beaucoup de frustration tant on aimerait en comprendre les tenants et aboutissants. « Je peux juste dévoiler que l’explication finale n’est pas cartésienne. Qu’il ne s’agit pas de l’attaque d’un état ou d’une bande de hackers, ni même d’un simple incident technologique ; ça dépassera de loin l’humain, et ça délivrera donc un message universel, métaphysique. Enfin, je l’espère ».

Armons-nous de patience, donc, d’autant que le prochain volume (il en prévoit trois au maximum) « ne devrait pas paraître avant un an et demi. Au départ, je voulais faire un seul volume de 200 pages mais j’ai vite compris que le sujet était trop complexe pour ça. Et puis l’idée que les lecteurs se posent, pendant des mois, plein de questions à propos du récit… ça me plaît assez ».

Bug tome 1, d’Enki Bilal - éditions Casterman - 18 euros
En vente le 22 novembre 2017