«20 Minutes» en 1984: «Le style vandale n'est pas mon moteur, je n’ai juste pas le choix», explique Speedy Graphito, street-artiste
INTERVIEW•A l’occasion de la saison 2 de « Stranger Things », qui débarque sur Netflix, « 20 Minutes » fait un voyage dans le temps, direction le 27 octobre 1984, et imagine les articles que le service culture aurait signés ce jour-là…Adrien Max
L'essentiel
- Speedy Graphito s’est replongé 30 ans en arrière, à l’époque des débuts du street-art.
- De vandale à pionnier du street-art, Speedy Graphito fait le point sur ce qu’est le street-art aujourd’hui.
- L’exposition High-Five à Marseille met à l’honneur Speedy Graphito, Okuda, Gris1, et pour la première fois dans la ville, Shepard Fairey, le créateur d’Obey.
Olivier Rizzo vient d’avoir 23 ans. Il sort de cinq années d’études d’art et commence à peindre sous le pseudo de Speedy Graphito. Il ne peint pas des toiles, mais la rue. Rencontre avec ce street-artiste, perçu comme un vandale par la société.
Speedy Graphito, quel genre d’artiste êtes-vous ?
En sortant de mes études d’art je me suis dit qu’il fallait que j’oublie tout pour me retrouver, et éviter de faire la même chose que tout le monde. J’ai participé à ma première exposition dans une entreprise de mode et c’est à cette occasion que j’ai vendu mon premier tableau. C’est une toile que j’ai faite sur du tissu, je joue avec la matière. Parallèlement je fais aussi des pochoirs sur les murs.
Pourquoi faire de l’art dans la rue alors qu’il y a des musées, des expositions, des galeries ?
Je me suis aperçu que la figuration libre offrait la possibilité aux jeunes de s’exposer dans les galeries. Avant il n’y avait que les vieux ou les morts qui s’exposaient. Malheureusement elles se sont refermées aussi vite qu’elles se sont ouvertes et ils m’ont dit d’aller faire mes expos et de revenir les voir. J’ai commencé à faire des pochoirs dans les rues pour montrer mon travail.
Le style vandale n’est pas mon moteur, je n’ai juste pas le choix. J’ai envie de communiquer, de partager mon travail. Je mets même mon numéro de téléphone sous mes œuvres, les gens pensent que c’est le numéro d’une agence de nettoyage.
Comment les gens voient votre travail ?
Ils voient ça comme des dégradations, notre travail est mal vu de manière générale. C’est pour ça que j’essaye de bien choisir mes supports, je ne vais pas dégrader un mur. Je choisis par exemple des passages piétons, la surface s’efface au passage des voitures, des piétons. Ou alors des murs abîmés, percés de fissure comme ça je peux jouer avec. Je préfère aller vers l’acceptation plutôt que dans l’agression.
Pensez-vous que votre art sera accepté un jour ?
Je me suis déjà fait arrêter plusieurs fois par les flics, ils ne savaient pas quoi faire de moi. Ils se demandaient « Mais pourquoi ce gamin peint alors qu’il devrait dormir ? » Pour l’instant les gens ne sont pas habitués, c’est quelque chose de nouveau. Peut-être que dans 10 ou 20 ans, les jeunes qui ont grandi avec cet art l’accepteront, et qu’il fera partie de leur culture. Ce sera peut-être l’art qui les représente.
Est-ce que votre but est d’un jour rentrer dans des galeries et des musées ?
Ce n’est pas mon obsession, le plus important pour moi est de faire quelque chose que j’aime. Il y a des personnes qui sont contre les galeries alors qu’ils ont déposé des dossiers pour y entrer. Ils ne sont pas acceptés alors ils les rejettent un peu de manière automatique. Mais tout le monde veut vivre de sa peinture. Moi je préfère vendre mes peintures et passer mon temps à peindre, plutôt que de bosser à côté et avoir moins de temps pour la peinture.
>>> Flash Forward <<<
Retour en 2017, Speedy Graphito n’est plus considéré comme un vandale, mais comme un pionnier. Aujourd’hui il vit de sa peinture, comme il en a toujours rêvé. Par le prisme de sa carrière, il fait le point sur ce qu’est devenu le street-art aujourd’hui.
Qu’est ce que vous affectionnez aujourd’hui ?
On peut dire que je suis un peu revenu aux origines. Au début de ta carrière tu reproduis beaucoup de tableaux pour apprendre les techniques. Aujourd’hui j’aime bien mixer les différentes périodes de l’art, ça me permet de m’intéresser à beaucoup d’artistes. Je mélange les styles et les techniques et je m’en amuse. Je continue d’affectionner les grands supports, et notamment les murs spectaculaires. Mais pas non plus trop grands, sinon on travaille à l’arrache.
aVous partagez votre vie entre la France et Miami, pourquoi avoir fait ce choix ?
Là-bas personne ne me connaissait quand je suis arrivé. C’était un terrain vierge, les gens n’avaient pas de référence et c’était une liberté supplémentaire pour moi. Je n’avais pas d’étiquette à emmener ailleurs. Et si je réussis là-bas, je réussirai en France. C’est difficile d’être un artiste français en France.
Ne considérez-vous pas avoir déjà réussi aux vues de vos 30 années de carrière ?
Aujourd’hui je n’ai pas d’achat de musée alors que j’ai l’impression de faire partie de la culture de mon pays et que je suis quelqu’un d’influent dans l’art français. Ce que je fais reste encore un art conceptuel. Mon succès je le dois aux collectionneurs et aux gens de la rue, mais pas à ces gens-là. Et ils n’aiment pas trop qu’on réussisse sans eux, car ce sont eux qui décident qui est artiste.
Aujourd’hui quel genre d’artiste êtes-vous ?
J’ai le sentiment d’être un journal de bord, un témoin de mon époque. J’essaye d’évoluer en même temps que le monde, d’apporter d’autres techniques mais sans rompre avec le passé. J’ai l’impression d’emmener les gens ailleurs, j’ai toujours cherché de faire quelque chose de nouveau. Dès que quelque chose cartonne j’arrête pour ne pas qu’on me colle d’étiquette et j’explore de nouveau style.