Keith Haring, le peintre qui «vivait chaque jour comme si c’était le dernier»
CULTURE – Portrait d’un artiste à la carrière fulgurante à l'occasion d'une exposition rétrospective à Lyon...Alice Antheaume
Keith Haring est un pur produit des années 80. D’abord, il ressemble à un geek, en plus musclé. Ensuite, son style vestimentaire est un reflet fidèle de la mode de l'époque: baskets montantes blanches, jean délavé et blouson en cuir. Avec sa chevelure frisée, ses grosses lunettes rondes et son menton proéminent, il est devenu l’un des symboles du «bad painting». Ami de Jean-Michel Basquiat et d'Andy Warhol, Keith Harring peint à en perdre haleine, de 1980 à 1990, sur «tout ce qu'il trouve dans la rue, sur des kilomètres de murs, sur les carrosseries des voitures, sur des bâches et sur des mètres et des mètres de plaques de métal qui jonchent les chantiers», raconte Gianni Mercurio, le commissaire de l'exposition rétrospective qui lui est consacrée au musée d'art contemporain de Lyon.
«Quand il faisait des graffitis, il les réalisait sans pochoir préalable, souligne le commissaire de l'exposition. Car parmi les graffeurs new yorkais, il était le seul à avoir pris des cours dans une école d’art (à la Ivy School of professionnal art de Pittsburgh, en 1976, ndlr).»
Têtes qui sourient, pyramide, bébé à quatre pattes (le fameux «bébé radiant»), dauphin à la gueule dentée: ses figures fétiches sont connues dans le monde entier, apposées sur un nombre faramineux de tee-shirts, de badges et même, dernièrement, sur des chaussures de la marque Adidas dessinées par le styliste Jérémie Scott. Mais il réalise aussi des masques primitifs, des sculptures et des toiles inspirées par Pablo Picasso. Car l'artiste peint tout ce qui croise son chemin, du chien à Mickey Mouse, de l’ordinateur à la télévision.
Hyperactivité
Capable de réaliser une fresque dans un hôpital en 1h30 avant de demander s'il y a d'autres murs à peindre, Keih Haring a une fureur de vivre qui le rend difficile à supporter pour qui ne tient pas son rythme. Monstre d’énergie, il réunit mille enfants pendant une semaine pour peindre un mur de 1 km (le «Liberty banner», en 1986). La facilité et la rapidité avec laquelle il trace son trait est trompeuse, dit Julia Green, son assistante pendant six ans, aujourd'hui directrice de la Keith Haring Fondation. Sous la «simplicité apparente» de ses dessins se cachent la mort, la guerre, la douleur annihilée, la sexualité. «Tout au long des années 80, je savais que j’étais un candidat au sida, écrit Keith Haring dans son journal. Je le savais parce qu’il y avait à chaque coin de New York de vastes opportunités de sexe facile et que je ne m’y suis jamais soustrait», écrit-il dans son journal.
Il fait partie des inconditionnels du Club 57, une boîte de nuit gay de New York où l’on danse sur du hip-hop et assiste à des performances d’artistes, aux côtés de Madonna, Rupert Everett, Grace Jones. Mais, lorsqu’en 1988, il apprend sa séropositivité, des spermatozoïdes à tête de diable apparaissent dans ses tableaux.
Keith Haring se voit reprocher de faire du marketing avec son art, en vendant des produits dérivés dans ses propres boutiques, les «pop shops», comme à New York et à Tokyo. Vingt-huit ans après la mort du peintre, fauché à 31 ans du sida, on préfère parler «de projet humaniste plus que commercial», la majorité des bénéfices ayant été reversés à des associations caritatives.
«Aux Etats-Unis, aucun musée ne lui a consacré d'exposition en solo de son vivant, reprend Julia Green. Quand c'est arrivé en 1985 au musée d’art contemporain de Bordeaux, c’était un rêve qui devenait réalité pour lui. Avec cette rétrospective à Lyon, ça me fait bizarre de voir les œuvres que j'ai vues naître dans son studio, accrochées dans un musée. Il s'en dégage une formidable énergie, la sienne, qui vit encore à travers ses œuvres.»