Affaire Harvey Weinstein: Grandeur et décadence d'un producteur admiré, haï, et désormais accusé
PORTRAIT•Le magnat, a été exclu dimanche de la Weinstein Company, qu'il a cofondée, après que des accusations de harcèlement sexuel, d'agressions sexuelles et de viol ont été portées contre lui...Fabien Randanne
L'essentiel
- Harvey Weinstein, accusé de harcèlement sexuel, d'agressions sexuelles et de viol, a été licencié dimanche de The Weinstein Company, la maison de production qu’il a créée avec son frère Bob en 2005.
- Harvey Weinstein était l’un des producteurs les plus influents d’Hollywood, admiré autant qu’abhorré.
- Il avait commencé sa carrière dans la distribution avec la société Miramax qu’il a mise sur pied en 1979, également avec son frère et qui a notamment obtenu le succès avec « Sexe, mensonges et vidéo », sorti en 1989.
A Hollywood, il était admiré des uns, haï des autres, mais paraissait intouchable. Que Variety, la bible des pros du cinéma, l’annonce « fini » prouve que la donne a changé. Harvey Weinstein a été viré dimanche par le conseil d’administration de la Weinstein Company, la maison de production qu’il a cocréée avec son frère Bob. Les accusations de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles et de viol auront eu raison de l’aura qui le préservait de toutes les critiques et polémiques tant le magnat était puissant dans la Cité des anges.
« A leurs débuts, en 1979, les frères Weinstein n’étaient que des charognards se jetant sur des films – n’importe quoi sur pellicule – auxquels les autres n’auraient pas touché, même avec des gants. Comme bien d’autres dans le milieu, ils ont quelques mauvais films érotiques sur la conscience (…). Le sexe faisait vendre, ils l’avaient compris », écrit Peter Biskind dans Sexe, mensonges et Hollywood, passionnante plongée dans les coulisses du cinéma indépendant américain paru chez Stock il y a une dizaine d’années. Les années 1970 s’achèvent et les frangins montent leur société de distribution et de production de films, Miramax – un nom en hommage à leurs parents Miriam et Max. Pendant plusieurs années, ils vivotent.
Le ciné indépendant sorti de l’ornière
Leur premier véritable coup d’éclat survient en 1989, lorsqu’ils achètent les droits de distribution de Sexe, mensonges et vidéo. Un drame signé par un certain Steven Soderbergh, 26 ans à l’époque, qui après avoir fait sensation à Sundance décroche la Palme d’or à Cannes et devient, en salles, l’un des plus gros succès du cinéma indépendant.
Les frères Weinstein commencent à peser dans le paysage cinématographique américain, avec un Bob aussi discret qu’Harvey peut-être grande gueule et mégalo. Miramax s’échine à sortir les œuvres indépendantes de l’ornière pour les mener vers le grand public. Harvey, qui compte Les 400 coups de François Truffaut parmi ses œuvres fétiches, veut aussi ouvrir le public des multiplexes du fin fond du Texas ou de l’Arkansas aux auteurs européens. Mais il n’a aucun scrupule à remonter certains longs-métrages : Cinema Paradiso se retrouve amputé de plus de trente minutes pour sa sortie outre-Atlantique quand un quart d’heure est retranché à Little Buddha…
Harvey le censeur « aux mains d’argent »
Deux exemples parmi de nombreux autres qui expliquent le surnom « Harvey scissorhands » - en référence aux mains-ciseaux d’Edward aux mains d’argent, « Edward Scissorhands », en VO… Rares sont les réalisateurs qui parviennent à se mettre à l’abri des lames. C’est le cas de Quentin Tarantino qui a imposé que la célèbre scène de l’oreille coupée sur l’air de Stuck in the middle with you ne disparaisse pas de Reservoir Dogs. Le même QT qui permettra à Miramax – en partie racheté par Disney en 1993 – de décrocher une nouvelle Palme d’or, en 1994 avec Pulp Fiction.
La deuxième moitié des années 1990 assoit la montée en puissance des Weinstein. En 1996, leur poulain, Le Patient anglais, décroche neuf Oscars pour 12 nominations. Plus flagrant encore, trois ans plus tard, Shakespeare in Love repart de la cérémonie avec sept trophées, dont celui du meilleur film, récupéré au nez et à la barbe d’Il faut sauver le soldat Ryan, La ligne rouge ou La vie est belle (!). Pour beaucoup, le lobbying l’a emporté sur l’artistique ce soir-là.
James Gray contrarié
Car si les Weinstein ont aussi révolutionné Hollywood, c’est aussi pour les campagnes intensives dans la course aux Oscars. Que The Artist, film français, muet, en noir et blanc, sans star américaine en tête d’affiche remporte cinq Oscars, dont ceux des meilleurs films, réalisateur et acteur, en est une parfaite démonstration.
Harvey et Bob, qui ont quitté la direction de Miramax en 2005 après un désaccord avec Disney puis créé la Weinstein Company dans la foulée, ont cette capacité de faire et de défaire des films. Gare à ceux qui ne sont pas dans leurs bonnes grâces. James Gray, par exemple, est un cinéaste respecté et apprécié en France mais n’est en rien prophète en son pays. Le fait que les Weinstein aient acheté The Yards pour le lancer en catimini deux ans plus tard en 2000 ou qu’ils aient condamné The Immigrants a ne sortir que sur quatre écrans aux Etats-Unis en 2014 y est sans doute pour quelque chose.
« Au ras des pâquerettes »
Le Français Olivier Dahan, réalisateur de La Môme, a aussi eu maille à partir avec eux : « Ils veulent un film commercial, c’est-à-dire au ras des pâquerettes, en enlevant tout ce qui dépasse, tout ce qui est trop abrupt, en enlevant tout ce qui est cinéma, tout ce qui fait la vie. Il manque plein de choses. Et les décisions ne sont prises que par rapport au marketing, à la sortie, etc. », déplorait-il en 2013, avant la sortie de Grace de Monaco… Ce biopic fera un flop retentissant.
Mais jusqu’ici aucun coup de gueule, aucune inimitié, aucun échec au box-office, aucun détracteur ne sera parvenu à faire chuter Harvey Weinstein de son piédestal. Il aura fallu attendre que celui qui se pensait sans doute tout-puissant soit rattrapé par son comportement en marge des tournages. Plusieurs actrices ont pris la parole depuis plusieurs un harcèlement sexuel, une agression ou même un viol pour trois d’entre elles. Harvey Weinstein, qui se fait pour une fois tout petit, promet de « canaliser sa colère ».