BOOTY SHAMEComment j’ai posé un lapin à Beyoncé pour passer la soirée devant la télé

Jeudi Confession: J’ai posé un lapin à Beyoncé (pour passer la soirée devant «Des Racines et des Ailes»)

BOOTY SHAMEEt ensuite, j’ai prétendu le contraire…
Benjamin Chapon

Benjamin Chapon

L'essentiel

  • Parce que nous avons tous nos lacunes culturelles plus ou moins honteuses, ou nos goûts un peu particuliers, un journaliste du service Culture de « 20 Minutes » assume chaque jeudi un aspect de sa vie culturelle prétexte à l’humiliation en société.
  • Aujourd’hui, on vous raconte comment on peut en arriver à préférer Louis Laforge à Beyoncé.

Que celui qui n’a jamais eu la flemme d’aller à un concert me jette la première invitation. Je vais faire semblant d’assumer : oui, j’ai préféré rester chez moi, au chaud (il faisait frisquet pour un 24 avril) devant la télé plutôt que d’aller au concert de Beyoncé à Bercy.

Couinebi-sur-Gironde

C’était en 2013 et pourtant, cette histoire me hante encore. A cause des « éléments à charge »…

  1. Je suis journaliste, je n’avais même pas payé ma place
  2. J’ai refusé de donner ma deuxième place à une grosse dizaine de personnes qui auraient adoré m’accompagner
  3. J’ai planté la personne qui devait finalement m’accompagner
  4. Je n’avais aucune bonne excuse

Ce soir-là, alors que Beyoncé enflammait Bercy, je me suis fait un plateau télé (camembert, saucisson, Chocapic) devant Des Racines et des ailes. A ma décharge, le numéro de ce soir-là traitait des paysages et du patrimoine de ma bien-aimée Haute Saintonge (Meschers vu du ciel, les ruelles enchanteresses de Talmont, les villas de Royan…)

En somme, oui, j’ai préféré glander comme un porc devant une émission sans intérêt plutôt que de faire mon boulot dans la joie. Et je portais sans doute un survêtement.

Beyoncé knows

Tout à ma honte, le lundi suivant a été des plus douloureux quand je fus assailli de « Alors, c’était comment le concert de Beyoncé ? » Bien sûr, les comptes rendus enthousiastes avaient plu. Beyoncé avait « enflammé Bercy », on avait vu le « meilleur concert de sa tournée », un « instant inoubliable » pour tous « les chanceux spectateurs ».

Et là, j’ai fait ce qu’aurait fait n’importe qui à ma place, j’ai menti : « Ouais, c’était super. »

Il fallut inventer des stratagèmes. Parfois c’était facile, avec les consœurs et confrères : « Ah ben oui, c’est normal qu’on ne se soit pas vu, je ne suis pas resté dans la tribune des journalistes ». D’autres fois plus compliqué avec des amis fans : « Elle a chanté la chanson Bidule Chose ? – Heu… Oui, oui, bien sûr. – Han, c’est dingue, elle ne la fait presque jamais ! »

Alors, me direz-vous, pourquoi mentir ?

Sans vouloir faire pleurer dans les chaumières, sachez que s’exerce une certaine pression sur les journalistes musique. La pression du « j’y étais ». Dans ce métier, il ne faut RIEN rater. Ni le concert événement dont tout le monde va parler le lendemain, ni le minuscule showcase de l’artiste émergent dont tout le monde va parler un an plus tard en prétendant : « ouais, je l’ai déjà vu à ses débuts dans une toute petite salle, on était 12, c’était so intense. »

Sortir tous les soirs, quand on a 25 piges, ça ne pose pas vraiment de problème. Mais l’âge, le dadbod et l’expérience (ou le cynisme) venant, l’on commence à se dire que tous ces gros concerts se ressemblent un peu. Qu’il n’y a pas que la musique dans la vie (y a les Chocapic aussi). Que Beyoncé passe tous les deux ou trois ans à Paris (j’ai aussi zappé son Stade de France cela dit). Et que la prétendue « magie du live » se résume parfois à un mal aux pieds et aux oreilles, à un dégoût de nos semblables (la promiscuité, le mal du siècle) et au sentiment d’avoir passé tout le concert à penser à autre chose en souhaitant être ailleurs.

Louis Laforge, lui, ne m’a jamais déçu. Jamais.

Relisez nos « Jeudi Confession »