JE N'AI PLUS PEURLa «meilleure série du monde» m'a gâché la vie (et je pèse mes mots)

Jeudi confession: La «meilleure série du monde» m'a gâché la vie (et je pèse mes mots)

JE N'AI PLUS PEURJ’ai failli m’en prendre une à cause de «The Wire»…
Laure Beaudonnet

Laure Beaudonnet

L'essentiel

  • Parce que nous avons tous nos lacunes culturelles plus ou moins honteuses, ou nos goûts un peu particuliers, un journaliste du service Culture de « 20 Minutes » assume chaque jeudi un aspect de sa vie culturelle prétexte à l’humiliation en société.
  • Aujourd'hui, on vous explique comment s'en sortir dans le monde cruel de la culture quand on trouve «The Wire» bof bof.

The Wire, c’est un peu ma bête noire. Vous savez, la série cultissime de David Simon sur la criminalité à Baltimore citée dans la plupart des classements des meilleures séries de tous les temps. L’inspecteur Jimmy McNulty, Rhonda Pearlman, vous remettez ? Dans le milieu de la culture, il y a des choses qu’on est obligé d’avoir vues. Pire, il y a des œuvres qu’on est obligé d’a-do-rer si on veut faire bonne impression. The Wire en fait partie. D’ailleurs, comment ne pas aimer LA MEILLEURE SERIE DE TOUS LES TEMPS ?

Devant un tel degré de consensus, le beau ne se questionne plus : The Wire, c’est La Joconde des séries. Ceux qui n’ont pas vu la trogne de Dominic West en inspecteur de police font semblant d’être fans et ceux qui n’ont pas aimé -s’ils existent- sourient pour garder la face, reprenant une goulée de leur mousse pour justifier leur silence. J’ai fait partie de la première catégorie pendant plusieurs années, et un jour tout a basculé (suspense).



>> Retrouvez le diaporama : L’excitomètre des séries de la rentrée US

Coup de pression

Tout a commencé en 2010 (soit deux ans après la diffusion de la dernière saison), à l’heure où je ne voulais parler de rien d’autre que de cinéma et de série. A force de traîner avec d’autres journalistes culture, j’ai été confrontée à l’ampleur de mes lacunes. Je n’avais pas vu The Wire, ni Les Sopranos (que je n’ai toujours pas vu, mais c’est un autre débat). Il fallait y remédier. Je me fais violence, j’arrête de « binge watcher » la série teen que je suis certainement en train de regarder (oui, je suis fan de teens comme Angela 15 ans, Skins, Shameless et même Gilmore Girls, mais c’est encore un autre débat), je récupère la saison un de The Wire par des moyens malhonnêtes et je me plonge dans LA MEILLEURE SERIE DE TOUS LES TEMPS que je n’ai pas le droit de ne pas aimer sinon ma vie est foutue. Pression pour The Wire, pression pour moi.

Catastrophe. Je trouve la série objectivement réussie d’un point de vue sociologique, très réaliste, très bien écrite. Il faut dire qu’elle a été créée par un ancien journaliste (David Simon) et un ancien policier (Ed Burns), et de grands noms du roman noir ont participé à l’écriture.

Mais... je m’ennuie, je reste à côté de ce qui se passe, je me force à regarder les 13 épisodes de la première saison. Les 55 minutes me font l’effet des trois heures de la Dolce Vita (sauf que j’ai passé un meilleur moment devant le film de Fellini). Je me fiche de ce qui arrive à McNulty, je préfère Dominic West dans The Affair, je ne m’attache à aucun personnage. « C’est NORMAL, c’est Baltimore le personnage principal, t’as rien compris ma pauvre », me répond-on sur un ton catastrophé. Ouais bah, super, je n’ai pas d’empathie pour Baltimore non plus. Que la ville soit grignotée ou non par le banditisme, ça ne va pas m’empêcher de dormir cette nuit.



Le malaise

Bref, ma décision est prise, je n’irai pas au-delà. Pourquoi s’infliger de regarder les quatre saisons suivantes si le visionnage de la première était une purge ? Je décide d’assumer ma position : « Franchement, The Wire, ce n’est pas ma came ». Autant vous dire qu’on m’a moins craché dessus quand j’ai annoncé que je n’adhérais pas à l’esthétique troubadour de Game of Thrones (pardon).

Je pense que des amitiés auraient pu se nouer si je n’avais pas fait cette confession. Lors d’un déjeuner entre collègues après une émission de radio, j’ai eu le malheur d’assumer mon avis. J’ai perdu le respect de mes interlocuteurs quand j’ai annoncé que, dans mon classement personnel, Breaking Bad et Six feet under battaient The Wire à plate couture. Très vite, le regard de mépris s’est transformé en regard de haine (c’est fou ce que peut faire une série) et j’ai été classée dans la catégorie « écervelées de service » par un groupuscule de radicalisés, parce qu’il faut être sacrément imbécile pour avoir besoin de nouer un lien avec des personnages forts au lieu de savourer cette fresque sociologico-philosophique.

Heureusement, à ma connaissance, je n’ai pas perdu le respect de mes meilleurs amis. Avec certains, j’évite d’aborder le sujet et d’entendre pour la énième fois : « Je te promets que la saison 4 te plaira ». Merci mais non merci. Ne pas aimer The Wire chez les gens qui travaillent dans le secteur de la culture, c’est comme annoncer à ses amis de gauche qu’on a voté Front national. C’est le malaise.