On a lu l’avenir dans la rentrée littéraire, et on n’a pas très envie d’y être
ANTICIPATION•On joue les cartomanciens avec « Notre vie dans les forêts » de Marie Darrieussecq, « Les sables de l’Amargosa » de Claire Vaye Watkins et « Zero K » de Don DeLillo…Laure Beaudonnet
«Tout le monde veut posséder la fin du monde », écrit Don DeLillo dans son roman philosophique Zero K, sorti en septembre. Le romancier culte donne le ton d’une rentrée littéraire très intéressée par le monde de demain (pas très reluisant pour être tout à fait honnête).
On sait bien que le futur suit le chemin dessiné par une poignée de visionnaires (où en serait-on sans Philip K. Dick ?). On a donc troqué notre habituel jeu de tarot contre trois fabuleux romans de cette rentrée littéraire - Notre vie dans les forêts de Marie Darrieussecq, Les sables de l’Amargosa de Claire Vaye Watkins et Zero K de Don DeLillo - pour jouer les cartomanciens. Un monde brûlé par le soleil, autoritaire ou capable de vaincre la mort…
N’ayez pas peur, on lit l’avenir de l’humanité et voici ce qui vous attend (attention, on vous spoile un tout petit peu…)
Côté vie
Demain, vous ne mourrez plus, tel est le futur imaginé par Don DeLillo dans son roman philosophico-transhumaniste. Mais ne vous réjouissez pas trop vite, la vie éternelle pose de nombreuses questions que Jeffrey, le fils de Ross Lockhart, richissime financier de New York, ne manque pas de soulever. Convoqué en Asie centrale par son père pour assister à la cryogénisation de sa belle-mère Artis pour revenir au monde comme être humain augmenté, le jeune homme invite le lecteur dans un voyage mental mélancolique.
« La mort n’est-elle pas une bénédiction ? Ne définit-elle pas la valeur de nos vies, minute après minute, année après année », interroge Zero K tandis que Jeffrey erre dans les couloirs futuristes du centre Convergence et se cogne aux questions que pose la vie éternelle. Libéré du « carcan du passé », l’humain « anhistorique », qui sortira des capsules, parlera une nouvelle langue qui offrira des nouvelles significations, parie Ross Lockhart. Mais l’homme augmenté n’aura malheureusement plus rien d’humain.
De retour à New York, Jeffrey se laisse sombrer dans le souvenir de la mort de sa mère, Madeline, la première épouse de Ross, dont le souvenir s’invite régulièrement dans son esprit. « Jamais je ne m’étais senti plus humain que lorsque ma mère gisait sur son lit mourante ». Et finalement, comme pour clore une réflexion sur le sens de la vie, le personnage de Don DeLillo trébuche sur la pensée de Saint-Augustin : « Et jamais un homme ne pourra-t-il être plus terriblement mort que lorsque la mort sera immortelle ». Inhumain et immortel, c’est votre triste sort.
Côté cœur
Si vous espérez avoir plus de chance en amour, vous vous mettez un doigt dans l’œil. La fin du monde n’estompe pas les sentiments les plus vils de l’être humain : égoïsme, adultère, mensonges, violences… Les sables de l’Armargosa de Claire Vaye Watkins en est l’incarnation romanesque. Luz, ex-mannequin, est abandonnée sur la route par son amant, Ray, un déserteur de la guerre avec qui elle tente de gagner l’Est pour fuir un Los Angeles brûlé par le soleil et peu à peu englouti par une gigantesque dune de sable. Ici, la Californie a tout l’air d’une terre apocalyptique, asséchée par un cagnard du diable.
Sur la route, le couple, qui a kidnappé Ig, une fillette toute blonde, renverse ce qu’il leur reste d’essence. Ray abandonne Luz et Ig sous la canicule, les laissant rôtir avec le reste d’une gourde d’eau, pour tenter de trouver de l’aide. Elles sont recueillies dans un sale état par le gourou d’une communauté hippie, un sourceur aux faux-airs de Charles Manson.
« Tu nous as laissées, sachant qu’on allait mourir », reproche Luz à Ray, revenu d’entre les morts pour se faire pardonner. Il devient alors impossible à Ray de prononcer « Tout va bien » car plus rien ne va.
Côté santé
Niveau santé, les cartes sont plutôt à votre avantage (ou pas). Dans la courte dystopie imaginée par Marie Darrieussecq, Notre vie dans les forêts, les individus ont tous une « moitié », un clone qui sert de « réservoir de pièces détachées », maintenu dans un sommeil comateux. « Les moitiés n’étaient que des corps démembrés : un puzzle d’organes dissociables, en sursis ». La santé oui, mais au détriment de celle de ces corps endormis.
Viviane, qui s’est réfugiée assez mal en point dans une forêt, pour fuir le système autoritaire et s’assurer un semblant de liberté, raconte son passé de psychothérapeute sous forme de témoignage testamentaire. A travers les histoires de ses patients - le cliqueur qui apprend aux robots les associations mentales de l’homme, la rescapée d’un crash d’avion-, elle laisse jaillir des indices de cette société peuplée de robots compassinnels, de drones et de moitiés enfermées. Et pourtant même en remplaçant ses organes malades, la pauvre Viviane ne respire pas la santé dans sa forêt. « Je n’ai plus de souffle. Je ne vois plus très bien. Je ne filtre plus très bien quoi que ce soit. Je ne vois plus les arbres, parce que probablement, je suis gardée à l’intérieur des galeries. J’ai froid ».
Allez, ne paniquez pas. Ce n’est que de la (très bonne) fiction. Quoique.