Fabien Randanne
L'essentiel
- Parce que nous avons tous nos lacunes culturelles plus ou moins honteuses, ou nos goûts un peu particuliers, un journaliste du service Culture de « 20 Minutes » assume chaque jeudi un aspect de sa vie culturelle prétexte à l’humiliation en société.
- Aujourd’hui, on vous explique comment il est possible d’avoir vécu trente-trois ans sans avoir vu «Alien» tout en étant journaliste culture.
Je n’ai jamais vu Alien. La semaine passée, , rendez-vous phare des fans de cinéma fantastique, horrifique ou bizarroïde et je n’ai jamais vu Alien.
Je n’ai jamais vu Alien alors que le film de Ridley Scott est considéré comme une œuvre majeure de la science-fiction – et une œuvre majeure tout court. Parce qu’il continue d’avoir une influence considérable sur le cinéma de genre (le pompon étant Life, décalque éhonté, sorti ce printemps), il est un passage obligé, celui « qu’il faut avoir vu », si l’on veut ensuite prétendre à causer légitimement de cinoche. Perso, j’ai toujours passé la douane du bon goût cinéphile en fraudant.
Rendez-vous manqués
J’ai vu en salle Prometheus et Covenant (je ne me souviens plus où), et même Alien, la résurrection (Pathé Jaude, Clermont-Ferrand, j’avais 13 ans), mais je n’ai jamais vu Alien. Tout n’a été que rendez-vous manqué avec ce film. Figurez-vous que je l’ai en double dans ma dévédéthèque (une sombre histoire d’achats compulsifs). Fallait donc vraiment que je le fasse exprès.
A chaque fois que j’envisageais d’enfin glisser le DVD dans le lecteur, j’ai été interrompu. Par des potes me proposant d’aller boire un coup, par Morphée m’incitant à plonger ma flemme dans ses bras, par une virée sur Twitter plus chronophage que prévue. J’ai pensé mettre à profit un vol de huit heures pour le regarder, mais l’écran riquiqui, l’absence de sous-titres et la crainte d’amalgamer la cabine pressurisée dans laquelle je me trouvais et le vaisseau spatial en perdition de la fiction m’en ont dissuadé (et une crise d’angoisse évitée, une !).
Coming-out
Je n’ai jamais vu Alien, mais cela ne m’a jamais vraiment fait défaut. Parce que, entre « dans l’espace personne ne vous entend crier », John Hurt subissant une césarienne malgré lui et Ripley en (mini) débardeur et (mini) culotte… il me semblait connaître l’essentiel de ce film. Ces repères me suffisaient pour ne pas être perdu quand quelqu’un m’en parlait. Je n’ai jamais vraiment complexé non plus. Parce qu’il est humainement impossible d’avoir vu tous les films – rien que d’y penser, j’en ai le vertige – et parce que, au fond, mes goûts me portent davantage vers l’horreur que vers la SF.
Coming-out : j’aimerais aimer Star Wars, Doctor Who et autres Star Trek parce que j’envie la passion de celles et ceux qui maîtrisent ces mythologies sur le bout des doigts, mais ces films et séries m’ennuient très vite. Alors je lâche et me retrouve à flotter, en perdition, dans la galaxie des cinéphages circonspects.
Retournement de situation
Je n’avais jamais vu Alien… jusqu’à dimanche dernier. (BAM, le twist que vous n’aviez pas vu venir !) Il m’aura fallu trente-trois ans pour en arriver là. Ce jour-là, Morphée m’a laissé tranquille, mes potes se remettaient de leur gueule de bois de la veille et j’ai résisté à Twitter. , je suis allé chercher le DVD pour le ressusciter. Sa première réplique dans le film est « Je suis mort », ça m’a fait un petit frisson.
J’ai vu Alien, son vaisseau à la déco molletonée Roche Bobois, ses minitels intelligents et Sigourney en culotte blanche (une scène purement gratuite, d’ailleurs). J’ai vu Alien, mais j’ai eu l’impression de l’avoir déjà vu. L’exploration de la planète, le monstre en mutation, la claustrophobie angoissante me semblaient familiers, justement par ce que ce film en hante beaucoup d’autres qui lui ont succédé (je l’ai déjà dit plus haut, je sais).
En revanche, je m’attendais à ce que Ripley soit mise en avant bien plus tôt dans l’intrigue, j’ai compris que la déviation du vaisseau de son parcours n’était en rien due au hasard, la créature est apparue bien plus souvent à l’écran que ce que j’imaginais et c’est dingue ce que Tom Skerritt ressemble à .
J’ai vu Alien, je pourrais désormais participer à une conversation à son sujet en connaissance de cause… mais ça n’a pas non plus changé ma vie. Pas plus que je n’ai vécu un choc de cinéma en mesure de chambouler mes convictions cinéphiles. Peut être que cela arrivera quand j’aurais vu La planète des singes. Je vous ai dit que je n’avais jamais vu La planète des singes ?