Mort de Jerry Lewis: Mais pourquoi les Français surkiffaient l’humoriste américain?
CINEMA•L'acteur et cinéaste Jerry Lewis est mort ce dimanche...L.Be.
L'essentiel
- L’humoriste et acteur américain Jerry Lewis est décédé à l’âge de 91 ans à son domicile de Las Vegas.
- Son art du dédoublement trouve son apogée dans « The Nutty Professor (Docteur Jerry et Mister Love) ».
Ses grimaces et ses sketchs ont fait le tour du monde. Jerry Lewis est décédé dimanche à l’âge de 91 ans et, si en France l’humoriste américain a laissé l’image d’un idiot merveilleux, les Etats-Unis ont toujours été beaucoup plus mitigés à son égard. Début 1960, son passage derrière la caméra braque les critiques de son pays qui peinent à le considérer comme un cinéaste. Ses œuvres, saluées en Europe, notamment par les cinéastes de la Nouvelle Vague, seront rejetées par les critiques et le public américains.
Pourquoi la France s’est-elle entichée de ce cinéaste au corps désarticulé et au masque élastique ? Que s’est-il passé pour que Jerry Lewis passe du ringard made in America à l’icône du cinéma d’auteur en traversant l’Atlantique ?
Sur les pas de Keaton
En 2013, un article du New York Times s’interrogeait sur cette adoration inexpliquée des Français pour Jerry Lewis au moment où le Festival de Cannes rendait hommage à son génie. Cette question a même fait l’objet d’un livre en 2001, Why the French Love Jerry Lewis (pourquoi les Français aiment Jerry Lewis) de Rae Beth Gordon. Quand on en arrive à écrire 300 pages sur la question, c’est qu’on nage dans l’incompréhension la plus totale. Explications.
Il faut remonter avant la Première Guerre mondiale pour comprendre l’origine de cet amour, à l’époque où la France produisait de nombreux films muets. Avec son aura burlesque, son visage ultra-expressif et la vitesse de son jeu, Jerry Lewis a ramené les Français à leur histoire du cinéma, avance le New York Times. Il transcende les barrières culturelles et linguistiques à la manière d’un Buster Keaton et, alors que le grotesque a tendance à embarrasser les Américains, les Français n’ont au contraire aucun mal à s’identifier.
Salué par la Nouvelle Vague
Jerry Lewis incarne l’auteur tel que le décrivait François Truffaut : il écrit, produit, réalise des comédies à petits budgets à partir des années 1960 où il passe derrière la caméra. Pour Thierry Frémaux, délégué artistique du Festival de Cannes, « il a inventé un style singulier, chorégraphié de façon unique. Quand les Etats-Unis célébraient le « showman », la France reconnaissait l’artiste avec un œil unique ».
Salué par les cinéastes de la Nouvelle Vague qui voyaient en lui un auteur, Pierre Etaix, le Buster Keaton français, ne cachait pas non plus son admiration. « Le plus pur comique, c’est celui qui se passe du verbe », commentait-il dans le documentaire de Grégory Monro, Jerry Lewis, Clown rebelle (2016). En plus de Cannes et des César, Jerry Lewis a également été fait commandeur de la Légion d’honneur le jour de ses 80 ans.
Son regard sur les Etats-Unis n’est peut-être pas complètement étranger au rejet de ses concitoyens et, il faut admettre que les Français n’ont jamais été les derniers à critiquer le pays de l’oncle Sam. Quand Jerry Lewis s’attaque à la mentalité américaine, démontant le business du cinéma dans Zinzin de Hollywood, et taclant une société qui repose sur le culte de la jeunesse et de la beauté dans Docteur Jerry et mister Love, c’est du pain béni pour les Français. Ne pourrait-on pas y déceler aussi un esprit de contradiction à l’heure de l’anti-américanisme de de Gaulle ? Aimer celui qui est rejeté par un pays que la France adore détester…