VIDEO. C’est bot l’amour: Aux noces virtuelles, la mariée est dans le casque
SERIE D’ETE (3/6)•Pour ce troisième épisode, « 20 Minutes » s'est invité à un mariage en réalité virtuelle…Mathias Cena
L'essentiel
- Cet été, 20 Minutes s’intéresse à l’amour avec les robots. Pour cette série, nous avons rencontré des hommes, en France et au Japon, qui entretiennent une relation intime, amoureuse parfois, avec un personnage virtuel.
- Pour le troisième des six épisodes, nous avons pris place sur les bancs de la chapelle tokyoïte où des hommes se sont unis fin juin avec leur fiancée de jeu vidéo.
De notre correspondant à Tokyo,
Quelques instructions lancées au futur marié, pas très rassuré, et déjà la voix de la maîtresse de cérémonie retentit derrière les portes de la chapelle : « Et voici les jeunes mariés ! ». Les lourds battants s’ouvrent, le jeune homme s’engouffre à l’intérieur et remonte l’allée sous les applaudissements du staff. Un peu gêné par sa redingote trop grande, il s’immobilise devant l’autel, où on lui enfile un casque de réalité virtuelle sur la tête.
Il n’y a pas de temps à perdre, car en ce pluvieux après-midi de la fin juin, 90 hommes vont passer la bague au doigt de leur promise virtuelle dans cette salle de mariages du sud de Tokyo. Côté jeunes mariées, le casting est nettement plus restreint : Yuki, Aiko et Nono, les trois héroïnes en deux dimensions du jeu Niizuma Lovely x Cation, affichent leurs physiques de dessin animé sur de grandes pancartes en carton dressées à l’extérieur.
Romance + jolies jeunes filles + scènes torrides
Les heureux élus ont été tirés au sort parmi les acheteurs de ce jeu sorti le 28 avril (vendu l’équivalent de 80 euros), à la croisée de trois genres : la simulation de relation amoureuse, le bishojo (littéralement qui met en scène « de jolies jeunes filles », en général de style anime), et le jeu érotique : le mariage est « consommé » au cours de scènes torrides, et l’expérience est donc réservée aux adultes.
S’imposer dans ce secteur n’est pas chose facile, à en croire Hideo Ito, responsable du studio Akabeisoft2, qui a développé le jeu. Pour se distinguer des nombreuses simulations de drague disponibles au Japon - ce marché pesait 14,6 milliards de yens (112 millions d’euros) en 2015, selon l’institut de recherche Yano -, l’originalité de Niizuma (« jeune mariée » en japonais) est de raconter surtout la vie matrimoniale. Et aussi de proposer cette cérémonie, qui réjouit les joueurs et lui permet au passage de s’offrir un peu de visibilité dans les médias.
Pour pousser plus loin le « réalisme », les noces se déroulent dans une chapelle habituellement utilisée pour unir des couples en chair et en os - indépendamment de leur religion, près de 54 % des Japonais choisissent en effet un mariage « chrétien ». Convaincre l’hôte d’associer son image à un jeu vidéo pour adultes n’a d’ailleurs pas été une partie de plaisir, glisse Hideo Ito. C’est finalement un vendredi qui a été choisi pour célébrer ces épousailles singulières, et ne pas gêner le wedding business du week-end.
« Je n’ai pas pu retenir mes larmes »
Ce jour-là, la chapelle n’est pas à la noce : les bancs de bois sont vides et le sol jonché de câbles. C’est en chaussant le casque que la magie de la VR opère pour le marié : en tournant la tête à gauche, il voit apparaître Yuki, Aiko ou Nono, selon les choix qu’il a faits dans le jeu. A droite, un prêtre de dessin animé, joues rondes et moustache blanche, commence son sermon. Quelques minutes plus tard, les époux se disent « oui » et le joueur peut s’avancer à tâtons à la recherche des « lèvres » de sa promise : un marshmallow tenu au bout d’une pince par une employée, qui lui offrira la seule sensation tactile de cette cérémonie.
Débriefés à la sortie, les nouveaux mariés ont encore des trémolos dans la voix : « Je n’arrivais pas à y croire. Ma "copine", telle qu’elle est dans le jeu, a surgi devant moi, j’ai été vraiment surpris et ému. Je n’ai pas pu retenir mes larmes », s’extasie Tsuminohito, un étudiant de 23 ans qui préfère donner son pseudonyme.
« Comme j’avais joué au jeu, j’avais envie d’aller "jusqu’au bout", explique le jeune homme. A moitié pour rire, je suis allé prier au sanctuaire shinto pour pouvoir me marier avec Aiko-sensei [le personnage du jeu], et là j’ai vu qu’il y avait cet événement. Je ne pensais pas qu’un miracle pareil pouvait se produire dans ma vie ! »
Les personnages en 2D du jeu Niizuma Lovely x Cation (à g.) ont été rendus plus « réalistes » (à dr.) pour le mariage en VR, grâce à la technologie E-mote du studio japonais M2.
7 hommes sur 10 n’ont pas de relation amoureuse
Pour lui, le « vrai » mariage reste une affaire très virtuelle. « Economiquement, je ne peux pas encore prendre mon indépendance. Le poids et l’importance du mariage, les responsabilités, le fait de vivre avec quelqu’un, ce sont des choses pour lesquelles il faut une résolution sans faille, on ne peut pas s’y lancer à la légère. »
Une analyse partagée par un nombre croissant de Japonais. Selon une étude publiée en avril dernier, près d’un homme japonais de 50 ans sur quatre n’a jamais été marié, une proportion en hausse de 3 % sur les cinq dernières années. En 1970, ils n’étaient que 1,7 % dans ce cas. Une tendance que les experts attribuent à une pression sociale moins forte pour le mariage, mais aussi à des inquiétudes économiques sur la pérennité de l’emploi.
Qu’à cela ne tienne, Hideo Ito pense, lui, que ses jeux ont quasiment une mission de service public, car ils fournissent aux joueurs « une expérience » de la relation. « Avec ce jeu, assure-t-il, on a voulu leur offrir la "suite" : se marier, fonder une famille. » A quand le divorce virtuel ?