Quand la science-fiction s'arrête l'été pour buller un peu
BD•Entre barbecue et farniente, profitez de l'été pour redécouvrir cinq albums de science-fiction parus au cours des derniers mois…Olivier Mimran
«En été, point de sorties BD ». Telle semble être, hélas, la devise des éditeurs de petits Mickeys. Alors pourquoi ne pas en profiter pour découvrir des albums que vous auriez zappés ces derniers mois ? Pour vous y aider, 20 Minutes revient sur cinq albums récents exploitant la SF.
La plus inventive : « Infinity 8 »
C’est l’un des projets SF les plus excitants - et ambitieux - qu’aient produit des auteurs de BD francophone depuis L’incal, la série de Moebius et Jodorowsky. D’abord parce qu’Infinity 8 réunit une brochette de « stars » du 9e Art (parmi lesquelles Lewis Trondheim, Zep - le créateur de Titeuf -, Olivier Vatine, Boulet, Fabien Vehlmann, Emmanuel Guibert). Ensuite parce que ce space opera humoristique repose sur un audacieux concept de « reboot » qui lui permet de décliner une même situation en une infinité - théorique - d’intrigues…
La série s’inspire des pulps, ces revues américaines bon marché des années 1950-1960 qui compilaient des récits - sans prétention littéraire - mixant polar, horreur et érotisme bon enfant. « J’en ai lu une quantité astronomique, ainsi que des romans et nouvelles de SF made in USA, entre 15 et 20 ans », précise Trondheim, qui en a aujourd’hui 52.
On y croise donc autant de belles pépées (chacun des tomes a pour héroïne une fliquette de l’espace à la plastique hyperavantageuse) que d’extraterrestres polymorphes, mais aussi des nazis du futur (vénérant la tête congelée d’Hitler) et un rabbin venu d’une autre planète ! Tout ça restant évidemment à prendre à ce 42e degré dont Trondheim s’est fait une spécialité.
Infinity 8 - Collectif - éditions Rue de Sèvres, 17 euros le volume
Le plus fataliste : « Trees »
L’auteur britannique Warren Ellis (Daredevil, Batman, The Authority, Transmetropolitan etc.) a largement contribué au renouveau de l’industrie des comics ces deux dernières décennies. Entre l’écriture de deux romans, le voilà qui revient à ses premières amours avec ce récit de pure SF.
On y assiste à une certain fatalisme des terriens face à une invasion dont tous ignorent les visées. « L’humanité excelle dans la résignation, sur à peu près tous les sujets », souligne Warren Ellis.
Ce premier volume s’articule autour de plusieurs personnages issus des quatre coins du monde : un Américain qui espère devenir maire de sa ville, un artiste chinois en quête d’identité, un scientifique basé en Norvège arctique et une jeune italienne liée, contre son gré, à un mouvement fasciste. Tous vivent à l’ombre d’un mégalithe extraterrestre, et tous, même s’ils n’en ont pas conscience, en ont développé une sorte de dépendance.
« Une fois que j’ai trouvé l’idée faisant de l’atterrissage des "Arbres" un événement global, la traiter de façon chorale s’est faite évidente », concède Warren Ellis. « L’impact de ces événements sur des cultures très différentes a naturellement induit plusieurs histoires très différentes ».
Trees, de Warren Ellis & Jason Howard – éd. Urban Comics, 10 euros le volume
Le plus visionnaire : « Centaurus »
Un gigantesque « vaisseau-monde » a quitté la Terre à l’agonie. Vingt générations se sont succédées à son bord depuis son départ. Sa finalité : trouver une planète susceptible d’accueillir nos descendants. Vera, satellite de l’étoile Proxima Centaurus, pourrait convenir. Un équipage trié sur le volet y est donc envoyé en reconnaissance…
En croisant les intrigues et en les plaçant sur deux plans différents - l’espace (dans le vaisseau) et le sol de Vera -, les scénaristes Leo (Aldébaran, Bételgeuse, Antarès, Survivants, etc.) et Rodolphe (Kenya, Namibia, etc.) inscrivent davantage leur récit dans le genre hard science que dans celui du space opera, mille fois exploité en BD.
C’est d’autant plus vrai qu’il s’articule autour d’une préoccupation d’actualité : celle de la probable future dégradation des conditions de vie sur Terre.
A titre personnel, Rodolphe se défend pourtant de tout fatalisme : « Aprèsle choc des civilisations et la crise pétrolière des années 1970 - dont on devait ne jamais se remettre ! -, on apprend à relativiser. La folie des hommes est certes en pleine activité, mais ne l’a-t-elle pas toujours été ? »
Centaurus, de Léo, Rodolphe & Janjetov - éd. Delcourt, 11,99 euros le volume
Le plus littéraire : « Ravage »
Aussi étrange que cela puisse paraître, jamais le roman Ravage de René Barjavel n’avait été adapté en BD. Peut-être était-ce dû à sa réputation sulfureuse (le livre ayant été écrit en 1943 - donc pendant l’occupation allemande -, certains y ont vu une glorification du maréchal Pétain) ? Pas de quoi rebuter le scénariste français Jean-David Morvan ni le dessinateur Rey Macutay, qui osent enfin mettre la célèbre dystopie de Barjavel en bulles et en cases.
Reconnu comme l’un des tout premiers romans post-apocalyptiques, Ravage raconte donc l’effondrement des sociétés modernes suite à une catastrophe technologique (ici, la disparition de l’électricité).
Pour Jean-David Morvan, en faire une bande dessinée relevait du rêve d’adolescent : « J’ai découvert le livre à douze ou treize ans, quand j’ai commencé à lire de la science-fiction – notamment française. Je crois me souvenir qu’étant, à l’époque, fasciné par la série Valérian, de Christin et Mézières, j’ai voulu trouver un équivalent en romans. De fil en aiguille, ça doit bien faire dix ans que je projette de l’adapter en BD ».
Ravage, de Jean-David Morvan & Rey Macutay - éditions Glénat, 13,90 euros le volume
Le plus réaliste : « Mars Horizon »
L’humanité fantasme depuis des décennies à l’idée d’un jour visiter Mars. Florence Porcel, elle, l’a fait. Enfin, en bande dessinée. Épaulée par le dessinateur Erwann Surcouf, l’auteure-comédienne-animatrice imagine - sous la supervision d’une flopée de scientifiques - les défis que rencontreront les premiers explorateurs de la planète rouge dans Mars Horizon.
Ils sont psychiatre, médecin, ingénieur, pilote ou encore botaniste : ce sont les ambassadeurs de la première mission habitée vers Mars….
« Plutôt que de m’attarder sur des considérations trop techniques, j’ai préféré m’intéresser à la psychologie des membres de l’expédition. La réaction des uns et des autres dans cet environnement hyperhostile, c’est la seule chose qu’on ne pourra jamais vraiment simuler avant un éventuel départ », déclare Florence Porcel.
Et la demoiselle sait de quoi elle parle puisqu’elle a, en 2014, fait partie des 1.058 candidats - sur plus de 200.000 - retenus pour le second tour des sélections du projet Mars One (qui envisage d’envoyer des êtres humains s’installer définitivement sur la planète Mars) ; puis elle a participé à une mission de simulation de séjour sur Mars, début 2015, au sein de la Mars Desert Research Station.
Mars Horizon, de Florence Porcel & Erwann Surcouf- éditions Delcourt, 16,50 euros