SERIE D'ETE«Summer of Love» 1967-2017: MDMA, le LSD de notre génération?

«Summer of Love» 1967-2017: Philosophie, effets… MDMA, le LSD de notre génération?

SERIE D'ETECet été, à l’occasion des 50 ans du « Summer of Love », «20 Minutes» part à la recherche de l’esprit hippie et s’intéresse cette semaine aux drogues comme accès au «bonheur» et à l’«amour»...
Romain Lescurieux et Clio Weickert

Romain Lescurieux et Clio Weickert

L'essentiel

  • A la radio, sur les maillots de bain, dans des pubs ou à l’affiche de festivals… Le « Summer of Love » sera PARTOUT cet été à l’occasion des 50 ans du mouvement.
  • Cette récupération mercantile ne rend cependant pas hommage à l’esprit du mouvement. 20 Minutes veut croire à un nouvel « été de l’amour » possible et va partir à la recherche de l’esprit du Summer 67 dans le monde de 2017.
  • Ce sixième épisode de notre série s'intéresse aux drogues, du LSD à la MDMA.

Songe d’une nuit d’été. Une heure du matin, passée de quelques minutes, Julien*, la trentaine, profite avec ses amis d’une soirée électro à Paris. Agent immobilier le jour, dealer « occasionnel » au soleil couchant, il a tout prévu pour que cette fête soit à la hauteur des espérances de chacun, en ce torride mois de juillet. « Je vends le para à 10 euros et c’est de la qualité. Je fais surtout ça pour pas que les gens chopent de la merde. Je suis trop content quand ils viennent me voir en me disant elle est trop bonne ta MD ! », assène-t-il, tel un pape de la came. Et les « clients » de ce jeune homme posté « discrètement », non loin de la cabine du DJ, sont au rendez-vous. Nous aussi.

Illustration ecstasy
Illustration ecstasy - SIPA PRESS

Cet été, à l’occasion des 50 ans du « Summer of Love », 20 Minutes part à la recherche de l’esprit hippie, de la paix et de l’amour, de la contestation de l’ordre établi, de la liberté, du plaisir et du psychédélisme via notamment la drogue. Du LSD à la MD.

« Les heures, l’heure, plus rien n’existe »

Symbole du mode de vie hippie, permettant de franchir « les portes de la perception », le LSD introduit par Timothy Leary, permettait, selon son ambassadeur, d’ouvrir sa conscience, son esprit sur le monde et sur les autres. 50 ans plus tard, « la drogue de l’amour » qui agite les sens d’une certaine jeunesse, c’est la MDMA - le principe actif de l’ecstasy - diffusée sous forme de poudre (contenu dans une feuille : le para) ou de comprimé. « Il y a un fil rouge sur la recherche de l’expérience collective, sensorielle, liée à une musique et où la drogue tient sa part », affirme Anne Petiau, sociologue spécialiste des musiques électroniques. Retour vers le futur.

« Love and Peace, Man! » à un concert dans les années 60
« Love and Peace, Man! » à un concert dans les années 60 - MARY EVANS/SIPA

>> 1967-2017 : Les 50 ans du « Summer of Love » en photos

En 1967, du côté de San Francisco, les love-in et les sit-in pacifiques s’enchaînent, aussi vite que se consomment les joints et se dissolvent les buvards de LSD sur les langues de milliers de jeunes en transe sur de l’acid rock. Le but : « découvrir de nouveaux territoires inconnus, des zones inexplorées de la conscience », détaille Frédéric Robert auteur de La révolution hippie. Vendue à l’époque entre 2,50 et 4 dollars l’unité, la prise de LSD, était une « bonne » affaire, car, une fois qu’il l’avait ingérée, le consommateur pouvait « planer pendant près de trois jours, sans interruption », précise-t-il. « Les heures, l’heure, plus rien n’existe, on fait ce qu’on veut, quand on veut », commentera à l’époque Jerry Rubin, contestataire américain qui créa les « Yippies », hippies révolutionnaires. Un vendredi soir de l’année 2017 dans la capitale française, le temps n’existe plus, non plus, grâce à une MD, de plus en plus pure et surtout « bon marché ».

Timothy Leary devant la foule du «Human Be-In», le 14 janvier 1967
Timothy Leary devant la foule du «Human Be-In», le 14 janvier 1967  -  Robert W. Klein/AP/SIPA

La consommation d’une « drogue générationnelle » qui a triplé

« Alors ? ça boit de l’eau par ici, ça prend de la D ? », lance à la cantonade, Gauthier, 24 ans, en se rapprochant du robinet des toilettes. Lui, a pris un para avec ses amis il y a quelques heures, ne s’en cache pas et analyse la situation, sur fond de basses bien lourdes, en se rafraîchissant à cause de cette substance qui « assèche ». « L’électro, c’est une échappatoire car je sais surtout que je vais prendre de la drogue… Sous MD, une heure c’est une minute, mais c’est le genre de truc que tu ne peux pas comprendre quand tu n’en as jamais pris », assure celui qui travaille dans le marketing. Toujours est-il qu’il est loin d’être seul à cette soirée à avoir « tapé » tant la consommation du produit augmente depuis quelques années et plus spécifiquement chez les « jeunes adultes ».

Une rave party en Californie, en 1992, au moment du second «Summer of Love»
Une rave party en Californie, en 1992, au moment du second «Summer of Love» - GROP/SIPA

« Après un moment d’absence, la MDMA est bien de retour depuis trois-quatre en France et à Paris. Et séduit principalement les jeunes adultes par son côté amour et joie qu’elle procure », indiqueLaurent Karila, psychiatre addictologue à l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP). En France, en 2014, la MDMA/ecstasy était en effet la deuxième substance illicite la plus consommée dans l’année chez les 18-25 ans (3,8 %), très loin derrière le cannabis (28,3 %) mais devant la cocaïne (3,1 %) - plus « perso » et « solitaire » - selon les chiffres du Baromètre santé de Santé publique France analysés par l’OFDT.

L’observatoire note globalement une augmentation de la consommation de MDMA - au moins un usage dans l’année - passant de 0,3 % (2010) à 0,9 % en 2014. Et ce, « dans les fêtes alternatives mais de plus en plus dans le milieu festif urbain de tout genre », affirmeThomas Néfau, docteur en sciences et en pharmacie, chargé d’étude au pôle Tendances récentes et nouvelles drogues à l’Observatoire. Pourquoi un tel engouement ?

Une rave party en Californie, en 1992, au moment du second «Summer of Love»
Une rave party en Californie, en 1992, au moment du second «Summer of Love» - GROP/SIPA

« Un aspect politique et spirituel »

« Facile d’accès, bon marché et au mode de consommation assez discret, la MDMA jouit surtout d’une image positive via son effet. La molécule va libérer des neurotransmetteurs et jouer sur le système sérotoninergique, adrénergique et dopaminergique », indique le spécialiste. « De quoi entraîner, dans un monde toujours plus rapide et stressant, une sensation d’énergie et de bien être, un côté love, l’envie de sociabiliser, de parler, et de toucher. Lié à l’écoute de musique, cela augmente aussi la stimulation des sens et le sentiment de communion avec les gens autour, pour une durée d’effets de 2h à 6h suivant les doses et les individus », conclut-il. Avec une légère dimension revendicative, à la sauce 1967.

Une fête «Peace and Love», à Lunel en 2015
Une fête «Peace and Love», à Lunel en 2015 - Patrick Frilet/SIPA

« A l’époque, il y avait un vrai mouvement de critique sociale. Aujourd’hui, il y a une forme de libération dans la fête qui porte effectivement un aspect politique et spirituel : danser ensemble de manière libérée, les uns avec les autres, permet un brassage social et une société égalitaire. Mais cela reste de l’ordre de l’imaginaire », commente Anne Petiau. Une recherche qui plus est, n’est pas sans risque.

L’amour, les relations, la peur de l’engagement et le temps qui passe

« La MDMA peut provoquer des fièvres, des hépatites fulminantes ou encore des états délirants ou dépressifs sur du long terme », rappelle Laurent Karila. Selon une enquête « DRAMES » du CEIP (Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance), 8 % des décès liés à l’usage abusif de substances psychoactives sont dus à l’amphétamine ou la MDMA. Mais pour les consommateurs interrogés, la prise reste « occasionnelle » et « contrôlée », assurent-ils. Sorte de défouloir de week-end.

Leslie*, n’est pas « une grosse consommatrice de musique électro », mais est venue à cette fête pour « passer du temps avec ses potes ». Coïncidant avec la montée des effets de sa prise d’ecstasy, elle vibre « surtout depuis 4 heures du matin », indique-t-elle. La jeune femme explique vivre la musique différemment et avoir des conversations plus profondes avec son mec et ses potes. En vrac : l’amour, les relations, la peur de l’engagement et le temps qui passe. « On a encore le temps, mais le temps passe vite », lâche-t-elle.

Le festival « station Woodstock » en Pologne. Sa devise est « de l'amour, de l'amitié et de la musique »
Le festival « station Woodstock » en Pologne. Sa devise est « de l'amour, de l'amitié et de la musique » - Simone Kuhlmey/PACIFIC PR/SIPA

« En fait, on est une génération qui a peur de vieillir », analyse de son côté, Gauthier, qui dissèque aussi le besoin nécessaire de relâcher la pression. « Avant ça allait, mais maintenant qu’on travaille on commence la semaine en se disant bon, encore quatre dodos avant d’arriver au week-end », rembobine-t-il en repartant vers la piste de danse. Ses portes de la perception à lui, jusqu’au dimanche.

* Les prénoms ont été modifiés