Législatives: Comment le terme «dégagisme» pourrait faire son entrée dans le dico?
VOCABULAIRE•Popularisé par Jean-Luc Mélenchon pendant l’élection présidentielle, le néologisme remplit tous les critères pour faire son entrée dans le dictionnaire…Anne Demoulin
L’élément de langage star de la soirée électorale. Le terme « dégagisme » a été beaucoup utilisé dans les soirées électorales du premier tour des législatives pour expliquer la lourde défaite du PS et le faible score des Républicains. Le mot pourrait-il faire son apparition dans le dictionnaire ?
Un mot né au cours du Printemps arabe
Le terme a déjà son entrée sur Wikipedia. Ce néologisme est pour la première fois utilisé en Tunisie en 2011 au cours du Printemps arabe et fait référence aux injonctions « Dégage ! » lancée dans les manifestations hostiles au gouvernement Ben Ali.
Un mot théorisé par des surréalistes belges
Laurent d’Ursel, membre du collectif belge Manifestement, a théorisé le néologisme dans un texte intitulé « Manifeste du dégagisme », paru en 2011, alors que le gouvernement Di Rupo mettait fin à 541 jours de vacance du pouvoir en Belgique.
Il le définit comme « dire à celui qui a le pouvoir de partir sans dire qu’il y a mieux, sans vouloir être à sa place. Simplement dire "dégage" et assumer le risque du vide, contempler ce vide, voir ce qui se passe avec ce vide ». Les artistes qui constituent le collectif lui ont même dédié un « opéra dégagiste », en 1 acte et 18 scènes, qui a été joué et enregistré. Le terme retombe ensuite dans la confidentialité.
Un terme popularisé par Jean-Luc Mélenchon
Il revient sur le devant de la scène en France en janvier 2017. Le terme est popularisé parJean-Luc Mélenchon pour saluer le résultat des primaires de la gauche et la défaite de Manuel Valls. « “dégagisme” a déjà été repéré par nos services de veille. Il a intégré notre base et bénéficie d’une fiche où l’on répertorie ses usages », explique Marie-Hélène Drivaud, lexicographe aux éditions Le Robert.
aComposé du verbe « dégager » et du suffixe « isme », « ce mot est mal formé. Les mots se terminant en "isme" désignent généralement des idéologies », note la lexicographe. Cette malformation n’est pourtant pas un obstacle à son entrée dans le dictionnaire Le Robert. « Notre rôle est observatoire, nous ne sommes pas censeurs », rappelle la spécialiste.
Un mot repéré par les lexicographes
Une fois un terme repéré, les lexicographes mènent l’enquête et rassemblent autant de documentation sur le terme que possible. « Nous regardons la fréquence d’utilisation du terme, si son usage est répandu dans différentes couches de la population ou non, par les journalistes, etc. », détaille l’experte.
Un mot beaucoup utilisé
Nathalie de Saint-Cricq, responsable du service politique de France 2, Arlette Chabot sur LCI, Anna Cabana, l’éditorialiste politique de BFMTV ou encore Virginie Le Guay, chef du service politique de Paris Match invitée sur CNews n’avaient qu’un seul mot à la bouche ce dimanche soir le « dégagisme ». Même constat dans les journaux : « Un vent de “dégagisme” sur les Côtes-d’Armor », titre Ouest France, « Les anciens ministres de Hollande, des victimes du “dégagisme” », analyse encore Europe 1.
Sur Google, la recherche du mot « dégagisme » donne près de 50.000 résultats et le terme a été beaucoup repris sur Twitter. Si Jean-Luc Mélenchon était le seul à ponctuer ses phrases de « dégagisme », le néologisme aurait peu de chances de se faire une place parmi la liste des nouveautés proposées en discussion lors du prochain comité éditoriale des éditions Le Robert.
Un mot à cerner
Il s’agira ensuite de lui trouver une définition. « On pourrait définir le “dégagisme” comme une tendance à mettre sur la touche les hommes politiques que l’on a déjà beaucoup vus », improvise la lexicographe, qui se plonge ensuite dans la définition du suffixe « isme » et ajoute « on pourrait rapprocher le terme de “dirigisme” au niveau de sa construction ».
Exit la dimension surréaliste belge du terme, mais ce dimanche soir avec cette utilisation massive du mot « dégagisme », les commentateurs ont souligné que la démocratie se construit parfois autant dans le sacre que dans la destitution. Ça vaut bien une ligne dans le dico, non ?