Laure Beaudonnet
L’idée d’avoir un malware sur votre PC vous file des sueurs froides ? Vous n’avez pas dormi pendant plusieurs nuits après avoir regardé Mr Robot ? Attendez la suite… Dans un futur pas si lointain, votre cerveau lui-même pourrait être la cible des hackers. Décoder les pensées, copier-coller l’esprit et même contrôler la conscience… On y est presque.
Alors que la Silicon Valley parle de l’immortalité de l’homme grâce aux nouvelles technologies depuis un petit bout de temps, la modélisation du cerveau semble à portée de main. Le livre Superintelligence : chemins, dangers, stratégies du philosophe Nick Bostrom donne même une recette pour créer une superintelligence artificielle. A quoi va ressembler le futur de notre organe de la conscience, bientôt (déjà ?) en proie aux pirates informatiques ? Trois scénarios pour y voir plus clair.
Alerte intrusion, on a volé vos pensées
Scénario numéro 1. Vous êtes tranquilles, un casque de réalité virtuelle vissé sur la tête, et un pirate en profite pour s’emparer de vos données bancaires. Ne rigolez pas trop vite, Facebook a annoncé lors de sa conférence F8, organisée en avril dernier, que sa division secrète Building 8 travaillait sur un système capable de décoder la pensée dans la partie du cerveau qui héberge le langage et de la transcrire directement sur l’ordinateur. « L’idée de la firme de Mark Zuckerberg, c’est de nous permettre de communiquer par télépathie, vous pourrez transmettre vos articles sans les taper », nous explique Laurent Alexandre, expert en nouvelles technologies et intelligence artificielle. Le système ne nécessiterait pas d’électrodes implantées, mais « des capteurs non invasifs ». Il serait alors possible de récupérer vos données personnelles avec un casque ou un bandeau.
Peut-on y croire ? Pour l’instant, l’électrocorticographie - l’enregistrement graphique de l’activité cérébrale grâce à des électrodes en contact direct du cortex - permet de décoder des intentions motrices. « On peut détecter quel doigt bouge en fonction de la mesure des signaux », décrit Nathanaël Jarrassé, chercheur à l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (Isir). Avec le « machine learning » [l’apprentissage automatique], on pourrait bientôt pouvoir reconnaître ce qu’il se passe dans le cerveau quand on pense à un chiffre.
« Mais ces algorithmes ont des gros problèmes de robustesse, souligne le scientifique. On est encore assez loin de pouvoir décoder la pensée. » Dans l’idée, il faudrait expliquer chaque mot à l’intelligence artificielle pour qu’elle puisse ensuite reconnaître ce qu’il se passe quand on pense à ce mot. « Sans compter que les différences interindividuelles sont énormes », reprend Nathanaël Jarrassé. Facebook affirme pourtant développer sa technologie d’ici deux ans. Et Elon Musk le suivrait de près avec Neuralink : un implant cérébral qui permettrait à l’homme de communiquer directement avec un ordinateur.
Attention danger, votre cerveau a été dupliqué
Scénario numéro 2. Vous mourez (ouais, ça commence mal). Plutôt que de vous réincarner en otarie, rosier sauvage, ou crevette grise, vous vous réveillez… en disque dur externe (en gros). Le mind uploading (téléchargement de la conscience) fait couler beaucoup d’encre. Il permettrait à l’homme de vivre éternellement à l’aide d’un cerveau numérique. Et qui dit cerveau numérique dit menace informatique, au même titre qu’un vulgaire ordinateur.
Le programme européen Human Brain Project, à Lausanne, cherche à modéliser un cerveau artificiel. Le principe est simple : l’organe est découpé en colonnes, chaque colonne de cortex est ensuite modélisée de manière à en restituer le contenu. « Mais il existe des millions de colonnes », souligne Jean-Michel Besnier, professeur de philosophe à la Sorbonne. Il faut un cerveau mort, on découpe les tissus en couches fines et on les passe dans une machine pour les scanner. Il faut faire fonctionner tous les scans et reconstruire le réseau neuronal en trois dimensions. « Cette vieille idée selon laquelle on transfère le contenu du cerveau dans le silicium passerait par cette étape de modélisation », note le philosophe.
Sauf que le cerveau a besoin d’un milieu qui le stimule pour fonctionner. « On pourrait faire une cartographie de tous les neurones humains mais on n’a pas encore la technologie pour le faire », insiste de son côté Nathanaël Jarrassé. Et la reproduction de l’architecture pourrait ne pas suffire. Le cerveau n’est pas seulement constitué de neurones, les cellules gliales forment l’environnement des neurones. Elles pourraient jouer un rôle dans le traitement de l’information nerveuse. « C’est comme si on n’avait regardé que la moitié depuis cinquante ans », pointe le scientifique. Si Human Brain Project n’a pas encore donné les résultats espérés, la recherche avance. « Comprendre un outil, le cerveau, en n’utilisant que cet outil… On est à la limite du possible », conclut Nathanaël Jarrassé.
Pour lui, ce serait plus facile de droguer les gens pour les pirater…
Danger, une connexion extérieure a pris le contrôle de votre système
On en arrive au troisième scénario. Certains médicaments prennent déjà le contrôle de votre esprit. La Ritaline par exemple. Ce médicament, très fréquemment prescrit aux Etats-Unis pour les enfants hyperactifs, développe les capacités de concentration. « On substitue aux efforts éducatifs l’idée que des molécules peuvent faire l’affaire, mais il y a des effets collatéraux, notamment la perte de l’initiative », observe Jean-Michel Besnier. « Des millions d’Américains pensent qu’ils ne sont plus capables d’éduquer et regardent déjà du côté des neurosciences pour éduquer leurs enfants ». On pourrait imaginer une lobotomie par des substances proches de la Ritaline pour prendre le contrôle des populations et agir sur leur libre arbitre.
L’ère du piratage du cerveau annonce celle de l’industrie de la neuroprotection. Serez-vous bien protégé ?